Le vendredi 17 mai 2024
RIM

Je Suis aux Oiseaux... en ta bernache !

3 mai 2010

J’ai une confidence à vous faire. Depuis que je suis tout petit, le rêve que je fais le plus souvent est que je vole… Non non! Pas que je vole une banque ou un dépanneur, esprits mal tournés va… Non, je rêve que je vole comme un oiseau. Dans mes rêveries d’antan et surtout d’enfant, et encore aujourd’hui, il m’arrive de naviguer comme le faisait la Sœur Volante, dans la série américaine du même nom. WoWo ! N’ayez pas peur, je ne porte pas la fameuse cornette aérodynamique. Ma technique virtuelle est à la fois inspirée de la sympathique Sœur Bertrille, mais aussi du Pygargue à tête blanche qui fréquente mon littoral, car c’est simple, je plane… Un psychanalyste se penchant sur mon cas dirait probablement qu’à vol d’oiseau, je cherche probablement inconsciemment à m’élever au-dessus d’une réalité un peu trop terre-à-terre, à mon goût. C’est sans doute ainsi que volent les utopistes.

Paradoxalement,  ça en aura pris des années, avant que je m’intéresse vraiment à notre faune ailée. Si on m’avait demandé ne serait-ce qu’il y a quinze ans, quels oiseaux il y avait au Québec, j’aurais probablement échoué mon test de maternelle 101… J’aurais dit Goélands, Pigeons, Canards, Moineaux, Rouges-gorges, et j’aurais probablement ajouté « et plusieurs autres », car je sais depuis gai luron et belle lurette, que je ne sais pas tout. Je suis un oiseau rare, mais humble, quand même... Or quelle n’a pas été ma surprise en déménageant à Stoneham à la fin des années 90, lorsque j’ai découvert le monde  des oiseaux! Je dis bien le « monde » car juste au Québec, en comptabilisant les buses, parulines, pics, bruants, pluviers, râles, troglodytes, bécasseaux, fulmars, et j’en passe, on peut en observer près de 460 espèces, oui oui ici, chez nous. (https://www.oiseauxqc.org/listeannotee.jsp) J’ai même tout récemment « découvert » que dans mon propre nom de famille, tHIBOUtôt, un HIBOU logeait bien confortablement. C’est dire comme on peut être aveugle, surtout quand on ne s’ouvre pas les yeux…

Les oiseaux sont devenus depuis l’une de mes grandes passions. Chaque saison nous fait en effet cadeau d’un et même de plusieurs rituels… Ces jours-ci c’est la valse aérienne des hirondelles bicolores qui se disputent les cabanes, le long du fleuve. Ce seront bientôt les premiers colibris à gorge rubis (image ci-contre) long de moins de 2 pouces, qui nous arriveront tout droit du Mexique ou d’Amérique centrale, avec leur moteur de « formule 1 » vrombissant à 80 battements d’ailes à la seconde. Et c’est comme ça toute l’année, mais particulièrement au printemps et à l’automne… Alors, je « bird » ou je miroise comme on dit, même par un froid de canard  à la recherche de la petite nyctale que j’aime tant ou de nouvelles espèces… J’ai déjà quelques trophées visuels : Talève violacée, Gipaète barbu, Vautour fauve, mais comme je n’ai pas encore vu l’Érismature Routoutou ou le guillemot de Brünnich des îles Hantzsch, alors je poursuis ma quête… En passant, ça ne fait pas de moi pour autant, un « ornithologue ». Mes amis le disent, mes sœurs aussi, mais franchement, lâchez-moi le logue, comme dans psychologue, criminologue, ou thanatologue. Je ne fais qu’observer et aimer les oiseaux. Je ne suis pas le praticien d’une quelconque science… C’est ma contemplation à moi, une de mes méditations…

Et c’est devenu un excellent prétexte pour moi et de plus en plus d’amateurs, pour découvrir ici comme ailleurs, des contrées que je ne connaissais pas… Pas surprenant que le tourisme ornithologique prenne tant d’essor. Seulement avec les oies des neiges et les bernaches, le Service canadien de la faune (SCF) évalue que les retombées économiques s’élèvent à quelque 31 millions de dollars annuellement, et pas en raison de la chasse, contrairement à ce qu’on pourrait croire. (https://www.qc.ec.gc.ca/faune/faune/html/oieetbernache_etudeimpacts_fr.html) Ce sont en effet les activités d’observation d’oiseaux qui en génèrent le plus (62 %)  soit plus de 19 millions de dollars, auxquels il faut ajouter 5 millions de dollars en retombées par les festivals comme ceux de Montmagny, St-Joachim ou Baie-du-Fevbre, et les centres d’interprétation. Je vous le dis, nous sommes de plus en plus de passionnés des oiseaux.

Vous devinerez aisément mon désarroi et ma grande tristesse face à la catastrophe écologique qui frappe ces derniers jours les côtes de la Louisiane, du Mississippi, de la Floride et de l’Alabama. La marée de pétrole qui continue d’ailleurs toujours sa progression pourrait d’ailleurs être la pire de l'histoire des États-Unis. Or ce site exceptionnel abrite de nombreuses espèces d’oiseaux marins et une faune extrêmement variée, comme c’est souvent le cas dans les marais côtiers. OK… L’erreur est humaine, et l'explosion de la plate-forme pétrolière dans le golfe du Mexique il y a de ça deux longues semaines, est peut-être due à une pièce d’équipement défectueuse, clame le propriétaire BP, n’empêche… Les dommages évalués déjà entre 3 et 7 milliards de dollars auront des répercussions dévastatrices non seulement sur la faune ailée, mais sur la santé publique, la pêche et le tourisme, tout étant lié.

Quand on sait qu’un seul litre d'huile peut contaminer un million de litres d'eau, avait-on le droit de continuer à prendre un pareil risque? Quant à moi, c’est un argument de plus qui me convainc qu’il nous faut rompre notre dépendance maladive aux combustibles fossiles. Non seulement ces ressources non renouvelables sont responsables des dérèglements climatiques, mais leur forage en mer tout comme leur transport le long de nos cours d’eau constitue une réelle menace pour nos fragiles écosystèmes, malgré tout ce qu’on aura pu dire au sujet des nouvelles procédures prétendument sécuritaires des marchands du pétrole.  Quand on sait que BP, la pétrolière responsable de cette marée noire, tente depuis quelques années de se refaire baptiser Beyond Petroleum (au-delà du pétrole), j’estime que vraiment, c’est un slogan génial. Car au-delà du pétrole il y a effectivement, entre autres détails, les êtres vivants, ailés ou pas. Les Fous de Bassan (image ci-contre) sont devenus ces derniers jours l’emblème aviaire de ce déversement, or quand on y pense bien, qui sont les plus fous dans toute cette histoire ???

Comme si les oiseaux avaient besoin d’une pareille catastrophe… Je dis ça parce que déjà, une sombre menace plane sur leur avenir. Déjà, plus d’une espèce d’oiseau sur sept, soit (13,6 %) d’entre eux, est menacée d’extinction ou a déjà disparu.  C’est quand même 1360 des 9990 espèces rapporte l'Union internationale pour la conservation de la nature (https://www.iucn.org/about/work/programmes/species/red_list/review/) et les dérèglements climatiques qui pointent à l’horizon ne feront qu’aggraver cet état de fait. Les oiseaux sont en effet un très bon indicateur du progressif réchauffement de la planète, car ils migrent et pondent déjà plus tôt que lors des dernières années. Des recherches ont démontré par exemple que l'hirondelle bicolore niche désormais 10 jours plus tôt qu'il y a de ça 30 ans. Certains migrateurs comme notre merle d’Amérique ou le pluvier Kildir arrivent quant à eux 13 jours en avance sur les habituelles dates enregistrées depuis 90 ans. Anecdotique et sans conséquence tout ça? Détrompez-vous. Les oiseaux se reproduisent toujours en fonction de la période qui sera la plus propice à la survie de leurs petits. On doit comprendre ici qu’ils se synchronisent pour que les oisillons naissent au moment stratégique ou la nourriture est abondante. Or le réchauffement climatique, relativement faible depuis un siècle avec moins d’un degré Celsius (0,8) et celui qui s’en vient avec de 1.4 à 5.8 degrés Celsius de plus d’ici l’an 2100, risque fort de fausser cette synchronisation. Une hausse de température si subtile soit-elle a en effet des répercussions sur la croissance de la végétation qui est beaucoup plus hâtive qu’elle ne l’était habituellement. Résultat? Au moment où arrive le migrateur, les insectes sont beaucoup moins nombreux ou carrément, n’y sont plus.

De plus en plus d’oiseaux ne sont donc plus au diapason avec cet élément déterminant de leur écosystème. Au point où près de 40 % des espèces d'oiseaux en Europe et plus de 70 % dans le nord de l'Australie pourraient disparaître, si le réchauffement dépassait les 2 degrés Celsius. Dans les grandes plaines des États-Unis, où jusqu'à 80 % des canards du continent viennent se reproduire, 75 % de cette sauvagine pourraient disparaître dans le cas d'une augmentation de 2,5 degrés Celsius. L’optimisme vole bas… même pour nos oies blanches… Si, la période de reproduction est retardée ne serait-ce que d'une seule semaine rappelle Joël Bêty, de l'Université du Québec à Rimouski (UQAR),  le succès de reproduction des oies chute de 90 %, car la nourriture de bonne qualité ne sera tout simplement pas assez abondante,  et les oisillons ne seront pas assez développés pour entreprendre ou réussir leur migration.

Oui plusieurs espèces d’oiseaux risquent de disparaître. Par contre notre faune ailée, ici même au Québec pourrait malgré tout s’enrichir quelque peu, et je m’explique. Les espèces nordiques auront bien des problèmes à aller plus au nord que ne l’est le nord arctique. Par contre, certaines espèces vivant actuellement aux États-Unis risquent fort de migrer un peu plus vers le nord c'est-à-dire chez nous, pour y faire bombance. La tendance est déjà observée, et risque fort de s’accentuer… Des espèces comme la mésange bicolore sont non seulement plus souvent observées au Québec, mais y nichent désormais. On pourrait aussi voir plus souvent chez nous certains visiteurs du sud comme la corneille des rivages, et même l’urubu noir (photo ci-jointe). Et c’est sans compter des espèces comme le coulicou à bec jaune et une flopée de nouvelles parulines, qui s’ajouteront à la quarantaine déjà en visite chez nous. C’est un paradoxe s’il en est un, mais nous ne sommes pas à un paradoxe près, en ce siècle de dérèglement qui n’est vraiment pas, uniquement climatique.

Pour plus d'information

François Thibouthot
Adresse: Journaliste chroniqueur
Québec
Canada
François Thibouthot
Journaliste chroniqueur

François Thiboutôt est journaliste et chroniqueur. Fort de 25 ans d'expérience à l'antenne de Radio-Canada, TQS, Télé-Québec et TVA, il consacre désormais son travail de communicateur engagé, à vulgariser les grands enjeux de la consommation responsable et du développement durable. François Thiboutôt agit aussi comme consultant auprès d'entreprises et d'institutions désireuses de prendre un véritable virage vert. Il est membre de l'AProDD (Association des Professionnels en Développement Durable) Au sein de l'Agence de conférenciers en environnement et développement durable « Terre à Terre » il présente aux quatre coins du Québec, sa conférence portant sur l'empreinte écologique intitulée « L'Urgence d'une Consommation Responsable ».