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Vendredi, le 16 mars 2012 -
La saga du vérificateur général contre la ville de Montréal : Qui paiera les frais d'avocats?

16 mars 2012

Il y a quelques mois, la lutte opposant le vérificateur général de la Ville de Montréal et l’administration municipale défrayait les manchettes.

Tandis qu’une guerre médiatique opposait, et oppose toujours, le vérificateur général de la Ville de Montréal à l’administration municipale, la lutte se transposait également sur le terrain juridique. En effet, Jacques Bergeron, ès qualité de de vérificateur général, poursuit la Ville de Montréal, le président de son comité de vérification ainsi que d’autres employés de la Ville, pour avoir illégalement accédé à sa boîte de courriels contenant des renseignements confidentiels.

Si de telles allégations de la part du vérificateur général s’avèrent fondées, ce serait un important œil au beurre noir pour l’administration actuelle de la Ville. Pour les fins de la présente chronique, examinons une décision rendue par la Cour supérieure en ce qui a trait au remboursement des frais d’avocat engagés par le vérificateur général dans le cadre de cette poursuite.

En effet, pendant que le dossier principal suit son cours en Cour supérieure, le vérificateur présentait, le 12 septembre dernier, une requête pour que ses frais d’avocats lui soient payés par la Ville et qu’une ordonnance soit émise afin de maintenir la confidentialité des documents jusqu’au jugement final à intervenir.

Rappelons que le mandat du vérificateur est la vérification financière, mais également la vérification de la conformité aux lois et règlements, politiques et directives de la Ville, ainsi que de l’optimisation des ressources de la Ville.

En tant que chien de garde de l’administration municipale et de ses finances, son rôle implique nécessairement une certaine indépendance. Même si sa rémunération est payée par la Ville, qu’il est un fonctionnaire nommé par le conseil municipal, il n’est aucunement un employé ni un préposé de la Ville et n’a aucun lien de subordination avec la Ville.

Une ville doit garantir à son vérificateur indépendance et impartialité, de la même manière que le Parlement doit assurer l’indépendance et l’impartialité des juges. Le vérificateur est nommé pour une période de sept ans et son mandat n’est pas renouvelable. Ainsi, c’est tout le contraire des politiciens : il n’a pas à faire de courbettes pour plaire au conseil municipal afin de voir son mandat reconduit. Il a également le droit aux renseignements ou explications qu’il juge nécessaires des employés ou fonctionnaires de la Ville en cours de mandat. Tous les comptables, pas seulement les comptables agréés, peuvent être vérificateurs pour une municipalité.

Règle générale, dans les procès au civil, le remboursement des frais d’avocats par l’autre partie est l’exception plutôt que la règle. Hormis les cas d’abus de procédures par une partie au litige, le tribunal n’ordonnera pas à une partie de payer les frais d’avocats de l’autre. C’est d’autant plus exceptionnel si le tribunal l’ordonne en cours d’instance.

Or, l’article 107.5 de la Loi sur les cités et villes (LCV) prévoit qu’un budget doit être alloué au vérificateur général pour les dépenses relatives à l’exercice de ses fonctions. C’est précisément à même ce budget qu’au début du processus judiciaire, la Ville remboursait les frais d’avocats engagés par le vérificateur général pour…poursuivre la Ville. C’est pourquoi le vérificateur s’adresse à la Cour en cours d’instance, afin de forcer la Ville à défrayer ses frais d’avocats.

Les procureurs de la Ville plaident que l’article applicable en la matière est 604.6 LCV, qui prescrit que les honoraires d’avocats peuvent être remboursés à un fonctionnaire de la Ville si ceux-ci sont engagés pour se défendre à cause d’actes accomplis dans l’exercice des fonctions d’un fonctionnaire municipal. Mais la Ville prend la position que le vérificateur a institué lui-même, à titre personnel, ce recours contre la Ville. Il ne se défend pas, il poursuit, plaide la Ville. Celle-ci n’aurait donc pas à assumer le coût de sa représentation juridique.

Le tribunal analyse la demande du vérificateur en fonction des critères de l’injonction interlocutoire (apparence de droit, balance des inconvénients, préjudice grave et irréparable). La cour en vient à la conclusion que si elle n’ordonnait pas à la Ville de payer les honoraires d’avocat du vérificateur, un préjudice irréparable se produirait, à savoir que celui-ci devrait abandonner le recours, faute de fonds. Par conséquent, la demande du Vérificateur est accueillie et la Ville devra payer ses honoraires d’avocat d’ici la fin du recours institué contre elle par le vérificateur.

De plus, fait à noter, le tribunal ordonne l’exécution provisoire de cette ordonnance malgré appel. Cela signifie que même si la Ville faisait appel de la décision en Cour d’appel, les frais d’avocats du vérificateur lui seront remboursés dans l’intervalle entre cette décision et un éventuel jugement de la Cour d’appel, le cas échéant. Ici, la Cour s’éloigne du principe général à l’effet que les jugements ne sont pas exécutoires pendant le délai d’appel.

Toutefois, dans ce cas-ci, le tribunal explique qu’il s’écarte du principe général puisque sa décision en est une qui n’est pas reliée à un procès au fond (il s’agit d’une décision sur une requête en cours d’instance) qui ne tranche pas le débat dans son ensemble. De plus, le tribunal exprime l’avis que s’il n’ordonnait pas l’exécution provisoire nonobstant appel, la capacité du vérificateur d’être représenté pendant les procédures d’appel pourrait être compromise.

Par ailleurs, la Cour accepte également de prononcer une ordonnance de non-publication et de mise sous scellés des documents et procédures résultant des intrusions de la Ville, et ce jusqu’au jugement final. La Cour rend une ordonnance de non-publication en acceptant l’argument du vérificateur à l’effet que la publication dans les médias d’informations privilégiées reliées à ses méthodes d’enquête et de vérification ou à ses sources compromettraient irrémédiablement l’exercice de ses fonctions. Par conséquent, d’ici au procès final, les médias n’auront pas le loisir de faire leurs choux gras des pièces et documents produits au dossier.

Pour plus d'information

Me Pierre-Marc Boyer
Québec
Canada
Me Pierre-Marc Boyer
Municonseil avocats inc.
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514-954-0440

Me Pierre-Marc Boyer pratique dans le domaine du litige et du droit administratif.

Il a acquis une expérience de plaideur devant les tribunaux et a participé à la rédaction de nombreux écrits juridiques en droit municipal.

Chez Municonseil, il se spécialise dans les litiges impliquant les municipalités.