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Cadbury… Du Chocolat Équitable ? La Barre est Haute… !

24 septembre 2009

J’avais 20 ans, lorsque j’ai entendu le mot « boycott », pour la première fois de ma vie. C’était en 1978. Et le boycottage en question, c’était celui de la compagnie Cadbury et de ses Caramilk, Dairy Milk, Crunchie et autres chocolateries. Cadbury venait d’annoncer la fermeture de son usine du Québec et le licenciement de 500 travailleurs, pour des raisons soi-disant économiques, et ce, pour déménager en Ontario. Sauf que deux ans jour pour jour (un 15 novembre), après l’élection du Parti Québécois, et à la suite de l’exode similaire des Assurances Sun Life, plusieurs y voyaient là une bien amère manœuvre politique. On conviait les Québécois au boycott ? Alors moi je n’ai pas laissé l’invitation sur une tablette. Cadbury s’est barré? Alors comme bien du monde, j’ai décidé de barrer Cadbury et de ne pas lâcher le morceau. Vous voulez savoir ce qui a été le plus dur ? C’est qu’en bon gourmand, j’adorais à l’époque, déguster une savoureuse Caramilk. L’histoire retiendra que c’était justement ça, le fameux secret de la Caramilk… C’était ma friandise chocolatée préférée. (Je dis bien, c’était…)

Toujours est-il que mon coup de barre étant passé, l’heure n’est peut-être plus au boycott, mais bien plutôt au buycott. Buycott ? Je vous explique. En consommation responsable, on pourrait dire qu’au lieu de ne pas acheter un produit pour démontrer notre désapprobation face aux pratiques d’une compagnie (boycott), on pourrait au contraire l’acheter délibérément, si on l’aime bien sûr, mais aussi pourquoi pas pour appuyer sa démarche (buycot). On passe alors ainsi un message constructif, par notre achat, non seulement à ladite ou mautadite compagnie, mais aussi indirectement, et j’y reviendrai, à la concurrence. Mais pourquoi tout d’un coup, dans le cas de Cadbury, changer sa friandise d’épaule? Eh bien, mille millions d’œufs de Pâques, parce que la compagnie, et cela passera à l’histoire, vient justement de se convertir au commerce équitable, non pas entièrement, mais du moins d’une bonne croquée.

À l’instar de l’Angleterre et de l’Irlande, les tablettes Dairy Milk vendues au Canada seront en effet, dès le printemps prochain, confectionnées avec du cacao et du sucre certifié équitable par Transfair Canada. Pfff… diront les sceptiques, c’est ça ta nouvelle? C’est encore un autre coup fumant de marketing vert!? « Not at all » m’a répondu par écrit, Luisa Girotto, vice-présidente aux communications de Cadbury pour l'Amérique du Nord, précisant « We are doing this because it is the right thing to do.  The achievement of Fair Trade is a natural evolution of the Cadbury Cocoa Partnership and our commitments in Ghana, where we have been an active member of the community for over 100 years ». OK! C’était une évolution naturelle qui aura pris 100 ans ? Mais pourquoi donc les dirigeants de Cadbury n’ont-ils pas mangé plus de chocolat ces dernières années? La caféine qu’on y retrouve les aurait réveillés beaucoup plus rapidement. Bon. On dit qu’il n’est jamais trop tard… 

Vous vous dites peut-être aussi qu’une simple tablette de Cadbury ne changera pas le monde?! Tetetete… Avec pas moins de 22 millions de Dairy Milk dégustées chaque année au Canada, c’est tout, sauf une nouvelle superficielle. Je le dis parce que je le pense vraiment. On pourrait appeler ça changer le monde une bouchée à la fois. Cette conversion partielle du géant de la confiserie au commerce équitable, non seulement pour les barres canadiennes, mais aussi pour les tablettes qui sont vendues en Angleterre, en Irlande et celles qui le seront bientôt en Nouvelle-Zélande et en Australie, va en effet permettre à 40 000 petits producteurs de cacao équitable du Ghana et à 6000 cultivateurs de canne à sucre équitable, d'augmenter leurs revenus et d'améliorer leurs conditions de vie. C’est ce qu’estime Rob Clarke, directeur de Transfair-Canada, le principal organisme certificateur indépendant au pays et membre du Fairtrade Labelling Organization International (FLO). Mais pourquoi améliorer leurs revenus? Ben chocolat! Parce qu’un producteur de cacao ne gagne environ que 300 $ US par année, soit moins d’un dollar par jour… Comment ça? Sortez votre calculatrice. Pour chaque tablette vendue 1.00 $ pièce, 64 cents vont aux importateurs, qui transforment, fabriquent, distribuent et publicisent le chocolat. 33 cents vont aux détaillants, et 2,5 cents aux intermédiaires et exportateurs. Si vous savez compter, c’est donc dire que chaque tablette vendue 1.00$ pièce, ne rapporte qu’un demi-cent (0,5 cent) à ceux qui triment dur à cueillir les cabosses de cacao. (Source FLO et Équiterre) Vous conviendrez donc comme moi qu’il ne sera donc pas trop difficile d’augmenter leurs revenus… D’autant plus qu’en leur garantissant toujours 1600 $ pour chaque tonne de cacao récolté, indépendamment des soubresauts de la bourse, et en leur versant en plus une prime équitable de 150 $ la tonne, et un autre 200 $ la tonne s’il est certifié biologique, ils pourront ainsi avoir la tête haute. Ils pourront ainsi investir dans des projets communautaires, de santé familiale, d’éducation, ou pour refaire par exemple des routes emportées par une inondation. J’avoue, ces petits producteurs ghanéens ne deviendront pas riches parce qu’ils bénéficient du commerce équitable, mais ils gagneront en revanche un bien vital qui n’est pas coté en bourse, qui n’a pas de prix, et qu’on nomme la dignité. Il y bien des équilunes que ceux qui croient au commerce équitable, MaxHavelar, La Siembra, Equita, Plan Nagua avaient compris ça et surtout ont agis.

Et savez-vous quoi? Une autre dimension méconnue, mais tout aussi cruciale risque aussi de changer, et surement beaucoup plus vite grâce à l’arrivée dans le décor de Cadbury. Vous connaissez les esclaves du chocolat ? Non je ne vous parle pas de votre belle-sœur Nancy qui en mange tous les jours et qui ne pourrait plus s’en passer. Je vous parle des véritables esclaves… Je n’ai pas envie de casser du sucre, pas plus que du cacao, sur le dos de Cadbury, ou des autres géants de cet oligopole chocolatier, que sont Mars, Nestlé, Hershey, Ferrero et Kraft, mais j’ai toujours eu un certain arrière-goût amer et persistant à l’égard de ces confiseurs. Je n’ai jamais réussi en effet, à avaler qu’avec un marché de 75 milliards de dollars US en vente au détail,  un des ingrédients-clés de leur recette repose sur le travail forcé des enfants et même l’esclavage. Oui vous avez bien lu… Ce ne sont pas des paroles en l’air ni des ragots. 284 000 enfants, travaillent en effet dans les fermes de cacao de l’Afrique de l’Ouest, en Côte d’Ivoire et au Ghana (les deux plus importants pays producteurs) de même qu’au Cameroun et au Nigeria. De très crédibles observateurs confirment ce phénomène. La recherche, menée en 2002 par l’International Institute of Tropical Agriculture (l’IITA), vient en effet renforcer le triste constat fait précédemment par l’UNICEF, le Département d’État américain, et l’Organisation internationale du travail (OIT).

En raison de l’extrême pauvreté qui sévit en Afrique de l’Ouest, des enfants y effectuent en effet des tâches difficiles comme la cueillette des cabosses de cacao, l’extraction des graines à l’aide de machettes, le déplacement de charges très lourdes et l’application de pesticides hautement toxiques et interdits dans une cinquantaine de pays, comme le Lindane. Beaucoup d’enfants sont même vendus à des trafiquants par les parents qui croient que leurs enfants y trouveront un travail honnête et rémunérateur. Bref, ce fut un choc dans le chocolat, puisque ça se gâtait dans le domaine des petites gâteries chocolatées. On venait en effet de découvrir que le chocolat ne faisait pas le bonheur de tous les enfants.

Voilà pourquoi l’arrivée de Cadbury est selon moi une sucrée de bonne nouvelle et pas seulement parce que le commerce équitable interdit toute forme de travail forcé des enfants. C’est simple, le seul fait que la « DairyQuitable » voit le jour (je veux bien  ma commission en chocolat équitable, s’ils adoptent l’appellation) va plus que doubler le volume de cacao équitable qui rentre au Canada, et multiplier par quatre, la vente du cacao équitable produit au Ghana, qui passera de 5000 à 20 000 tonnes. Le pari est simple. Si les producteurs africains peuvent honorablement gagner leur vie, en touchant un juste salaire, ils n’auront pas a faire travailler leurs enfants, et surtout pas à les vendre… Ce qui est également particulièrement positif, c’est que tout d’un coup, l’accessibilité au chocolat équitable pour le grand public sera grandement facilitée. Bien sûr on pouvait déjà trouver d’excellentes tablettes de chocolat équitable dans les boutiques d’aliments naturels, magasins spécialisés et quelques rares dépanneurs, mais avec Cadbury on parle ici d’une invasion… Jamais au Canada un produit équitable n'aura été distribué à aussi grande échelle, car la compagnie a ses entrées dans toutes les grandes surfaces, supermarchés, les dépanneurs et les postes d'essence d’est en ouest au pays. C’est ce qui arrive quand les grands s’en mêlent (/entrevue.asp?ID=46928)

Ouais, mais du chocolat équitable, ils vont nous vendre ça pas mal plus cher que du chocolat qui ne l’est pas… surtout si on s’assure que les travailleurs sont enfin mieux rémunérés ? Eh bien Cadbury affirme que non, la nouvelle Dairy Milk ne se vendra pas plus cher…  Faut dire, honnêtement qu’il y a bien peu de cacao dans une tablette de chocolat au lait, à peine 25% dans le cas de la DairyMilk. Mais c’est un bon départ. D’autant plus que ce n’est qu’un début... « We will look at additional opportunities in the future » me confiait la porte-parole de Cadbury. Est-ce a dire que d’autres tablettes de Cadbury arboreront fièrement un jour, elles aussi, le logo de Transfair-Canada? Ça devrait d’autant plus pouvoir se faire que bien des barres commerciales, qui sont des friandises et non officiellement du chocolat, ne contiennent que de 10 à 20 % de cacao. Imaginez l’impact  si l’ensemble des produits Cadbury n’utilisait un jour que des ingrédients certifiés équitables…

Pas besoin d’avoir une boule de cristal, pour comprendre que les grandes marques concurrentes n’auront peut-être pas le choix d’emboîter le pas vers l’équitable dans un avenir pas si lointain, sous la pression des consommateurs et/ou de leurs actionnaires. C’est même ce que souhaite Cadbury, dont la porte-parole me confiait “It would be great if this became the norm one day ”. Reste à voir de quelle façon ils le feront. Plusieurs observateurs souhaitent d’ailleurs ardemment que les géants du chocolat se joignent tout comme Cadbury  à un organisme de certification indépendant comme l’est Transfair-Canada, plutôt que de s’inventer des écolabels maison pas toujours crédibles. Transfair n’accorde en effet sa précieuse certification, que si 100 % des ingrédients qui peuvent être certifiés équitables sont présents. D’autres programmes plus mous, disons-le, accordent leur feu vert s’il y a présence d’un seul ingrédient équitable ou s’il y en a 30 %. La rigueur de Transfair-Canada est déjà allée jusqu'à retirer sa certification à certains fabricants qui utilisaient dans une friandise, du cacao équitable, mais du sucre qui ne l’était pas. Je souhaite de tout cœur que jamais au grand jamais ne s’amollissent ces règles, sous le lobby expert des grandes transnationales.

Pour ma part, je vais surement encourager Cadbury si l’occasion se présente. Mais j’ai un secret à vous confier. Je vais aussi continuer à acheter du vrai chocolat certifié équitable comme celui de Cocoa Camino, qui est celui que je préfère, et qui est un vrai délice. Et ce sera d’autant plus mon choix qu’il provient d’une coopérative, La Siembra, et ça, c’est vraiment dans mes goûts…

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François Thibouthot
Adresse: Journaliste chroniqueur
Québec
Canada
François Thibouthot
Journaliste chroniqueur

François Thiboutôt est journaliste et chroniqueur. Fort de 25 ans d'expérience à l'antenne de Radio-Canada, TQS, Télé-Québec et TVA, il consacre désormais son travail de communicateur engagé, à vulgariser les grands enjeux de la consommation responsable et du développement durable. François Thiboutôt agit aussi comme consultant auprès d'entreprises et d'institutions désireuses de prendre un véritable virage vert. Il est membre de l'AProDD (Association des Professionnels en Développement Durable) Au sein de l'Agence de conférenciers en environnement et développement durable « Terre à Terre » il présente aux quatre coins du Québec, sa conférence portant sur l'empreinte écologique intitulée « L'Urgence d'une Consommation Responsable ».