Le lundi 23 décembre 2024
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Obligations municipales et crise économique

8 février 2009

Pour une première fois la semaine dernière, un chef d’État, le premier ministre britannique Gordon Brown, a utilisé le mot « dépression » pour qualifier la crise économique qui s’amplifie et gagne tous les pays. Quelque 30 trillions de dollars sont partis en fumée et le système financier international vacille. Une majorité de banques, américaines, britanniques et européennes, sont insolvables; la dette dépasse largement l’actif. Avec leurs plans de secours, les gouvernements recourent aux déficits budgétaires et émettent des obligations en quantité phénoménale pour les financer. Dans pareil contexte, comment peut se comporter le marché des obligations municipales?

Les émissions municipales occupent le troisième rang parmi les emprunts publics, immédiatement après les obligations fédérales et provinciales. Elles ont un cran plus élevé sur l’échelle de risque, bien qu’il soit rare de voir une municipalité en faillite. Leurs cotes de solvabilité varient en fonction des recettes fiscales qu’une municipalité est en mesure de recueillir pour payer les intérêts sur ses émissions de titres d’emprunt. Autrement dit, plus les contribuables sont nombreux et solides financièrement, avec une perspective de croissance de l’assiette fiscale, meilleure sera la cote et en conséquence un taux de financement plus bas. Actuellement, l’intérêt des obligations du Québec est de 4,50 % et celui des villes de 5,15 % en moyenne. Puisque les revenus d’une municipalité dépendent presque entièrement d’une taxe foncière, un marché immobilier en baisse peut avoir des conséquences majeures sur l’intérêt que doit payer une municipalité pour attirer des acheteurs lors d’une émission d’emprunts. Tout comme d’ailleurs une municipalité qui a perdu une ou plusieurs entreprises sur son territoire. Les taux seront à la hausse.

Jusqu’à maintenant, les obligations municipales ont bien performé, car les taux d’intérêt sur d’autres titres ont baissé de façon importante. Ce sont donc des produits pour les petits investisseurs qui cherchent une sécurité de placement tout en ayant un taux plus élevé que les certificats de dépôts garantis. La quasi-totalité des villes opte pour le marché obligataire. Une émission se fait par une banque ou un courtier qui ont offert le meilleur taux de financement, soit un taux d’intérêt le plus bas. Le produit est ensuite distribué aux clients de la firme. Toutefois, il y a un préalable incontournable : tous les règlements d’emprunt doivent être approuvés par le ou la ministre des Affaires municipales et des Régions. De plus, une obligation municipale doit obtenir un certificat du ministre des Finances avant son émission. Une façon pour la province de se porter garante du titre et permettre aux municipalités d’obtenir un coût d’emprunt le plus bas possible.

Comme pour toutes les obligations, un titre municipal varie selon le marché. L’intérêt et le capital seront remboursés à l’acheteur à la fin du terme. Mais entretemps, sa valeur peut varier selon l’offre et la demande. Ici il y a plusieurs facteurs qui interviennent. En premier lieu, le taux directeur des banques centrales. La Banque du Canada a abaissé son taux à 1 %. Pour un investisseur, une obligation municipale avec un intérêt de 5,15 % rapporte davantage que des bons du Trésor ou des papiers commerciaux sans garantie et en chute libre. Au départ un titre vaut 100 % de sa valeur lors de son émission sur le marché. Si les taux préférentiels baissent, la valeur du titre municipal monte et le détenteur peut le mettre en vente avant terme et obtenir, disons, 115 % de sa valeur. Le profit est de 15 %. Mais le contraire est aussi vrai. Si les taux directeurs montent, la valeur du titre descend puisque les acheteurs iront vers d’autres obligations plus lucratives. L’investisseur aura le choix de conserver son titre jusqu’à terme ou le vendre à perte s’il a besoin de liquidité. Un autre facteur qui peut réserver des surprises sur la valeur d’un titre sur le marché c’est lorsqu’il y a trop d’émissions sur le marché et pas assez d’acheteurs. La crise actuelle de la dette qui s’accompagne d’une restriction du crédit peut avoir un impact sur les obligations municipales, d’autant plus lorsque la confiance envers les marchés financiers se volatilise comme neige au soleil. 

Sur le front économique

Les semaines passent et les mauvaises nouvelles s’accumulent. Comme le Canada est très dépendant de l’économie américaine, les sombres nuages qui s’y accumulent gagneront le nord inévitablement. Un seul chiffre : 626 000 nouveaux travailleurs américains ont appliqué au chômage la semaine dernière. Une catastrophe qui a été saluée brièvement par une hausse des indices boursiers, car les investisseurs, lire Wall Street, y voient une pression encore plus forte sur Barak Obama pour augmenter les fonds de secours. Le problème, c’est que le déficit américain passera allégrement la barre du trillion de dollars. Pour le financer, le gouvernement a recours à des émissions obligataires à court, moyen et long terme. Puisque le marché ne peut plus absorber pareille quantité, et alors que les États-Unis sont devenus les plus grands débiteurs de la planète, la Réserve fédérale, l’équivalent de la Banque du Canada, doit acheter une bonne partie de ces obligations. Alors que sa marge de manœuvre s’est évaporée, elle utilise la planche à billets qui tourne au maximum. Cela s’appelle « monétariser » la dette en augmentant la masse monétaire. En conséquence, le billet vert va perdre de sa valeur sur les marchés tandis que l’inflation va rebondir en dépit d’une stagnation économique. Au bout du compte, à moins de laisser le dollar américain perdre la moitié de sa valeur, il faudra un jour ou l’autre remonter les taux d’intérêts, ce qui aura des conséquences sur le marché obligataire. D’ailleurs, il est de plus en plus question actuellement d’une bulle obligataire à la veille d’éclater puisque trop d’investisseurs paniqués ont acheté des obligations à court terme qui ne rapportent même pas 1 % en intérêt quand ce n’est pas zéro pour cent. 

Bien sur, la situation est différente au Canada. Les obligations municipales n’ont pas été mises aux enchères par des courtiers et des banques qui ont littéralement escroqué les municipalités clientes par des commissions exorbitantes pour ensuite spéculer sur ces mêmes obligations au détriment de ces dernières. Des municipalités se sont retrouvées avec des taux d’intérêt sur leurs emprunts de plus de 20 %.

Le marché des obligations municipales demeure limité. Quand je regarde le portefeuille de fonds d’investissement, les titres municipaux ne représentent souvent que 2% .Il n’empêche que la plupart des fonds d’investissement, et cela inclue les fonds de pension, ont participé à la bulle spéculative des marchés boursiers et accusent des pertes. En contrepartie, ils doivent souvent vendre à perte des titres de bonne qualité dont des obligations commerciales et même de municipalités. S’il devait y avoir un éclatement d’une bulle obligataire chez nos voisins du sud, nous serions alors dans des eaux inconnues. Cela entrainerait une réaction en chaîne à l’échelle internationale. Devant pareille situation, les investisseurs préfèrent conserver leurs épargnes en argent comptant. Plusieurs le font déjà. Les municipalités auraient de la difficulté à financer leurs emprunts à moins de hausser considérablement leurs taux d’intérêt, ce qui reviendrait à augmenter leurs dettes et nuire à leurs cotes de solvabilité. Une situation à suivre de très près.

En terminant, j’aimerais souligner le sommet de Davos et l’accueil qui a été réservé à l’économiste Nouriel Roubini. Il y a deux ans, au même sommet, il avait tiré la sonnette d’alarme en affirmant que l’économie mondiale se dirigeait vers un crash. Il a passé pour un cassandre. Cette année, les délégués, économistes et chefs d’État, étaient tout ouïe. Il a déclaré qu’il y a de fortes chances pour que les États-Unis connaissent une autre dépression qui, par définition, signifie une longue récession. Il a d’ailleurs conclu en disant que ça le désolait d’avoir prédit avec justesse la crise actuelle et qu’il espérait être le premier à prévoir une reprise. Mais pour le moment il ne voit rien à l’horizon.

Pour plus d'information

André Lavoie
Québec
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André Lavoie