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L'État et la responsabilité environnementale

8 juillet 2016

L'automne dernier, dans le contexte de l'émission À vos cas, le segment «Question de principe» portait sur la responsabilité environnementale. Or, il a notamment été question de l'affaire Spieser c. Canada (Procureur général), un recours collectif intenté au nom des résidents de la municipalité de Shannon qui ont subi les effets de la contamination de la nappe phréatique, lequel a été accueilli en partie par la Cour supérieure le 21 juin 2012. Voici un bref résumé de cette décision fort importante en matière de responsabilité environnementale.

Depuis le début des années 1930, le gouvernement du Canada exploite sur les territoires des municipalités de Shannon, de Saint-Gabriel-de-Valcartier et de la Ville de Québec, une base militaire sur laquelle se trouvent la garnison de Valcartier, un centre de recherche et une entreprise de fabrication de munitions qui a été privatisée en 1996, maintenant propriété de GD-OTS Canada inc. Les immeubles sur lesquels a été exploitée cette entreprise jusqu'au 30 juin 1991 ont été vendus à la Société immobilière Valcartier inc. (SIVI).

Spieser, la demanderesse, reproche aux défendeurs, le procureur général du Canada au nom de Sa Majesté du Chef du Canada, GD-OTS et SIVI, d'avoir, au cours de nombreuses années, déversé dans le sol divers produits chimiques, dont plus particulièrement du trichloroéthylène (TCE), contaminant ainsi la nappe phréatique et les puits d'alimentation en eau potable des résidences des citoyens de la municipalité de Shannon et des logements familiaux de la base militaire. Ces déversements auraient été effectués bien avant le 1er janvier 1953, date de l'entrée en vigueur de la Loi sur la responsabilité civile de l'État et le contentieux administratif. Spieser prétend que la contamination de ces puits par le TCE serait la cause d'un nombre anormalement élevé de cas de cancers, de maladies et d'autres malaises parmi les anciens et les actuels résidants de la municipalité de Shannon, d'où les dommages-intérêts qu'elle réclame en son nom et au nom des membres de deux groupe qu'elle représente. 

Quant au fardeau de la preuve de ce recours fondé sur la responsabilité extracontractuelle, le juge Godbout a précisé que Spieser devait démontrer, selon le critère de la prépondérance des probabilités, qu'il est probable et non seulement possible qu'il existe un lien de cause à effet (un lien de causalité) entre la faute qu'elle reproche aux défendeurs et les dommages qu'elle-même et les membres des deux groupes qu'elle représente prétendent avoir subis (paragr. 551).

Or, bien qu'il ait été prouvé, du moins en ce qui concerne l'usine de fabrication de munitions, qu'on aurait utilisé du TCE en grande quantité et que, une fois celui-ci usé, on s'en débarrassait en le déversant sur le sol, la preuve n'a pas démontré que le déversement de TCE qui a contaminé la nappe phréatique soit la cause d'un nombre de cas de cancers, de maladies et d'autres malaises qu'elle considère comme anormalement élevé parmi les anciens et actuels résidants de la municipalité de Shannon (paragr. 582 et 699).

En outre, le juge a conclu que, même si l'on considérait que le fait d'avoir déversé du TCE dans le sol, contaminant ainsi la nappe phréatique et les puits d'alimentation en eau potable, puisse constituer une atteinte illicite au «droit à la jouissance paisible et à la libre disposition de ses biens» (art. 6 de la Charte des droits et libertés de la personne), cette atteinte, dans les circonstances, n'était pas intentionnelle. Ce faisant, les réclamations en dommages punitifs ont été rejetées (paragr. 710).

Toutefois, le juge a statué qu'il était en présence de troubles de voisinage au sens de l'article 976 du Code civil du Québec. Selon lui, la contamination de la nappe phréatique sur une partie du territoire de la municipalité de Shannon a eu pour conséquence directe de rendre inutilisables les puits privés des résidences situées à l'intérieur et aux environs du périmètre appelé «le triangle rouge», situé à l'est de la rivière Jacques-Cartier, causant ainsi aux propriétaires et occupants de ces résidences des inconvénients anormaux qui ont excédé les limites de la tolérance. Une eau de qualité est un produit précieux, essentiel à la consommation et aux activités de tous les jours (paragr. 733 et 761).

Les personnes visées par ces troubles de voisinage ont donc droit à une indemnité pouvant atteindre 15 000 $. Par contre, Spieser n'a pu obtenir une injonction ordonnant aux défendeurs de décontaminer la nappe phréatique se trouvant sous la municipalité de Shannon, car ceux-ci ont multiplié les efforts pour déterminer les sources de contamination et travaillent maintenant à trouver une solution à ce problème (paragr. 735 et 737).

Cette décision a été portée en appel. Il sera intéressant de voir comment la Cour d'appel interviendra dans ce litige. À suivre

Référence

Spieser c. Canada (Procureur général), (C.S., 2012-06-21), 2012 QCCS 2801, SOQUIJ AZ-50867639, 2012EXP-2634, J.E. 2012-1389. Inscription en appel, 2012-07-23 (C.A.), 200-09-007773-127.

Pour plus d'information

Me Julie Pomerleau

MeJulie Pomerleau
Avocate

Julie Pomerleau est conseillère juridique à SOQUIJ depuis 2009. Elle écrit pour L'Express en matière de droit municipal, des assurances, de la responsabilité et des dommages. Avant de passer dans l'équipe de rédaction, elle a agi à titre d'agente de formation au sein des Services à la clientèle. Enfin, elle a débuté sa carrière dans le milieu juridique au Service des affaires juridiques de la Ville de Sherbrooke, où elle exerçait la fonction de conseillère juridique-recherchiste.