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L'utilisation en preuve de conversations privées sur Facebook en matière familiale

27 septembre 2016

Dans Droit de la famille 161206, où il est question de la garde de deux enfants mineurs, un père désire introduire en preuve des extraits de conversations privées de la mère avec des tiers sur Facebook en vue de démontrer qu'elle consomme de la drogue et que son nouveau conjoint lui en procure. La mère s'oppose à cette preuve, invoquant l'article 2858 du Code civil du Québec (C.C.Q.), qui prévoit le rejet de tout élément de preuve obtenu dans des conditions qui portent atteinte aux droits et libertés fondamentaux et dont l'utilisation est susceptible de déconsidérer l'administration de la justice. Elle conteste aussi la fiabilité de la preuve.

Selon le témoignage du père, il aurait pris connaissance de ces conversations lorsqu'il a remarqué que son fils de sept ans avait accédé au compte Facebook de la mère. Avec son cellulaire, il aurait photographié tout ce qu'il a vu à l'écran et il aurait fait un montage en supprimant certains passages et en conservant ce qui l'intéressait. C'est le document résultant du transfert de l'information sur support papier qu'il souhaite introduire en preuve.

La juge Suzanne Gagné, de la Cour supérieure, conclut plutôt que c'est en découvrant le mot de passe de la mère  le père avait aidé cette dernière à ouvrir son compte la première fois et il connaissait les réponses aux questions de sécurité  que le père a réussi à accéder à ses conversations privées. La juge conclut donc, dans un premier temps, que le père a porté atteinte au droit fondamental de la mère au respect de sa vie privée et que le premier volet du test prévu à l'article 2858 C.C.Q. est respecté.

La juge Gagné estime toutefois qu'il en va autrement du second volet du test. Sans donner raison au père quant aux moyens utilisés, elle reconnaît que l'objectif poursuivi, soit celui d'établir les habitudes de consommation de la mère  lesquelles auraient un effet sur sa capacité parentale , s'inscrit dans la recherche de l'intérêt supérieur des enfants. Elle retient aussi que la preuve entourant les modalités de la réalisation de la violation n'est pas concluante et que le père a le droit de questionner la mère sur sa consommation de drogue. La juge arrive donc à la conclusion que la preuve que le père souhaite introduire ne constitue pas un abus du système de justice et que son utilisation n'est pas susceptible de déconsidérer l'administration de la justice, de sorte que son rejet ne s'impose pas en vertu de l'article 2858 C.C.Q.

Il reste l'argument de la mère portant sur la fiabilité de la preuve. À cet égard, la juge indique que les messages échangés sur Facebook sont des documents technologiques qui bénéficient d'une présomption d'intégrité et qu'il est nécessaire, pour que leur reproduction sur support papier ait la même valeur juridique, que le document résultant du transfert comporte la même information que le document source et que son intégrité soit assurée. Or, puisque le père a sélectionné les extraits reproduits et qu'il a reconnu qu'il aurait pu modifier le texte, il s'ensuit que l'intégrité du document n'est pas assurée et que la mère, qui n'a plus accès à ses anciens messages, ne dispose d'aucun moyen pour vérifier s'il y aurait eu altération du contenu, à part sa mémoire. La juge Gagné accueille donc l'objection.

Référence

Droit de la famille 161206 (C.S., 2016-05-24), 2016 QCCS 2378, SOQUIJ AZ-51290493. À la date de diffusion, la décision n'avait pas été portée en appel.

Pour plus d'information

David Habib

David Habib

David Habib est conseiller juridique à SOQUIJ depuis 2008. Il écrit pour L'Express en matière de droit commercial, notamment en ce qui concerne les banques, les communications et la concurrence, ainsi qu'en droit de la famille et en droit de l'environnement.