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Le système de surveillance DriveCam dans les camions de transport alimentaire : oui ou non?

10 mars 2017

Pratique répandue aux États-Unis : l'installation du système de caméras DriveCam dans l'habitacle de tous les camions de livraison circulant sur les routes de l'Oncle Sam constitue-t-elle une mesure de surveillance à l'américaine approuvée au Québec? 

Pour l'instant, il semblerait que non.

Certains se rappelleront l'affaire Teamsters Québec, section locale  106 et Linde Canada ltée (grief syndical), sur laquelle j'avais d'ailleurs écrit le billet «Les transporteurs de matières dangereuses : la caméra filme en continu». Une bombe ambulante! C'est le qualificatif qu'avait donné l'arbitre de griefs à ce camion de transport d'hydrogène liquide dans cette affaire et pour cause! Dans cette affaire précise, l'arbitre avait conclu que l'installation du système DriveCam dans l'habitacle des camions ne contrevenait ni au droit des employés à des conditions de travail justes et raisonnables ni à leur droit à la protection de leur vie privée, lesquels sont prévus à la Charte des droits et libertés de la personne.

Or, à l'employeur qui effectue le transport de produits alimentaires et qui pensait avoir le feu vert pour installer le système DriveCam dans ses camions de livraison circulant notamment au Québec, voilà que l'arbitre de griefs refuse ce droit dans l'affaire Syndicat des travailleurs et travailleuses de Sysco-Québec-CSN et Sysco Services alimentaires du Québec (grief collectif) parce qu'il contrevient justement au droit à la vie privée.

Il faut lire cette décision de l'arbitre Francine Beaulieu, qui fait état des principes établis par la doctrine et la jurisprudence en matière de surveillance des salariés exercée par leur employeur.

S'appuyant sur la jurisprudence de la Cour suprême, elle cite notamment l'affaire Syndicat canadien des communications, de l'énergie et du papier, section locale 30 c. Pâtes & Papier Irving, Ltée, relative à des tests de dépistage aléatoires de drogue ou d'alcool, qui a établi que même «la dangerosité d'un lieu de travail [ ] ne constitue que la première étape de l'examen» et qu'il revient à l'employeur de faire la preuve qu'il existait des problèmes justifiant une atteinte à la vie privée (paragr. 31). Puis, elle insiste sur l'obligation pour l'employeur de faire une preuve de l'existence de risques accrus pour la sécurité et de la réponse proportionnelle que ce dernier choisit de donner s'il veut se voir fondé à exercer une telle surveillance de ses salariés.

Elle écrit notamment :

«Il faut une justification raisonnable de l'employeur pour qu'il y ait surveillance et ce dernier doit auparavant vérifier s'il n'y a pas une alternative moins intrusive» (paragr. 244).

Elle rejette la prétention de l'employeur selon laquelle l'affaire Linde Canada ltée a pavé la voie à l'acceptation de l'installation du système DriveCam dans tous les habitacles des camions de livraison du Québec.

Ici, elle souligne d'abord qu'il s'agit du secteur alimentaire, qu'il n'existe aucune preuve de problématique avec les chauffeurs et qu'il n'y a pas un nombre élevé d'incidents ou d'accidents justifiant l'utilisation du système de caméras DriveCam.

Et elle continue en disant qu'«on est aussi loin d'un moyen le moins intrusif possible[utilisé par l'employeur] puisque la caméra filme en continu même s'il n'y a qu'une très petite partie qui est visionnée par un gestionnaire, soit 12 secondes d'enregistrement de l'incident» (paragr. 266). Elle souligne : «[Les caméras] ont constamment les chauffeurs dans leur champ de vision» (paragr. 266).

Bref, selon elle, les motifs de l'employeur doivent être plus significatifs que ceux de la prévention ou de la sécurité des salariés, et ce, compte tenu de la situation. Elle conclut que l'employeur n'a pas réussi à démontrer la nécessité de la mesure, et encore moins son caractère proportionnel.

Moyen utile pour l'employeur : attention, tel n'est pas le critère lorsqu'il s'oppose au droit des salariés québécois à la protection de leur vie privée et à leur droit à des conditions de travail justes et raisonnables.

À noter enfin que la partie n'est pas finie pour l'employeur, qui a fait une demande de pourvoi en contrôle judiciaire devant la Cour supérieure (2016-06-09 (C.S.), 500-17-094231-167).

Références

  • Teamsters Québec, section locale 106 et Linde Canada ltée (grief syndical), (T.A., 2014-10-24), 2014 QCTA 943, SOQUIJ AZ-51127869, 2015EXP-172, 2015EXPT-88, D.T.E. 2015T-29.
  • Syndicat des travailleurs et travailleuses de Sysco-Québec-CSN et Sysco Services alimentaires du Québec (grief collectif), (T.A., 2016-05-12), 2016 QCTA 455, SOQUIJ AZ-51298997, 2016EXP-2793, 2016EXPT-1587, D.T.E. 2016T-665. Pourvoi en contrôle judiciaire, 2016-06-09 (C.S.) 500-17-094231-167.
  • Syndicat canadien des communications, de l'énergie et du papier, section locale 30 c. Pâtes & Papier Irving, Ltée (C.S. Can., 2013-06-14), 2013 CSC 34, SOQUIJ AZ-50976195, 2013EXP-2076, 2013EXPT-1167, J.E. 2013-1102, D.T.E. 2013T-418, [2013] 2 R.C.S. 458.

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Me France Rivard

Me France Rivard
Avocate

Me France Rivard travaille à SOQUIJ depuis 2000, ayant occupé à ses débuts un poste de conseillère à la clientèle. Depuis 2001, elle est conseillère juridique en droit du travail, contribuant à la rédaction des Express dans les domaines de l'arbitrage de griefs, des normes du travail et des droits et libertés de la personne et publiant des articles sur ces sujets dans AZIMUT (Banque Doctrine). Avant de se joindre à SOQUIJ, elle a été recherchiste à la Cour d'appel puis avocate en pratique privée. Enfin, elle détient une maîtrise en droit de la santé de l'Université de Sherbrooke.