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S'asseoir un instant … peut-être

28 juillet 2017

Le Tribunal administratif du travail (TAT) a récemment été appelé à se prononcer sur l'interprétation et l'application de l'article 170 du Règlement sur la santé et la sécurité du travail, lequel prévoit ce qui suit :

«Des chaises ou des bancs doivent être mis à la disposition des travailleurs lorsque la nature de leur travail le permet.»

Dans cette affaire (Librairie Renaud-Bray inc. et Représentante à la prévention), une inspectrice de la Commission de la santé et de la sécurité du travail - maintenant la Commission des normes, de l'équité, de la santé et de la sécurité du travail - avait émis, en août 2014, un avis de correction enjoignant à l'employeur de mettre des bancs à la disposition des caissières et des libraires de l'une de ses succursales. Selon la preuve, l'employeur avait partiellement réaménagé la succursale visée en mars 2015 mais, ce faisant, il n'avait pas tenu compte de l'avis.

Le TAT a confirmé la dérogation formulée par l'inspectrice. Bien que la décision du Tribunal fasse l'objet d'un pourvoi en contrôle judiciaire, il est rarement question de l'interprétation et de l'application de l'article 170 du règlement dans la jurisprudence, de sorte qu'il semble opportun de s'arrêter aux propos du TAT sur le sujet dans Libraire Renaud-Bray inc.

La nature du travail

L'ergonome ayant témoigné pour l'employeur devant le TAT était d'opinion que la «nature du travail», dont il est question à l'article 170 du règlement, comprenait «la nature architecturale du travail» ou l'environnement de travail tel que conçu, lesquels ne permettaient pas l'usage de bancs.

Estimant qu'il était plus juste, en référence à ces prétentions, d'utiliser les termes «aménagement des lieux du travail», le TAT a souligné que, «si l'environnement peut être partie intégrante de la nature du travail, qu'on pense au garde forestier dont l'environnement est la forêt, il n'en est pas de même de l'aménagement des lieux, lequel relève de décisions de certaines personnes» (paragr. 37).

Le TAT a conclu que l'aménagement des lieux ne faisait pas partie de la nature du travail des travailleurs en cause mais résultait d'un choix de l'employeur relevant de considérations de gestion.

La nécessité de fournir un banc

L'absence de risque pour la santé fait-elle en sorte qu'il n'était pas nécessaire de mettre des bancs à la disposition des travailleurs?  

Sur ce point, le TAT a notamment souligné que l'utilisation des termes «lorsque la nature de leur travail le permet» plutôt que «l'exige»  à l'article 170 du règlement «[plaide] en faveur d'une interprétation large [ ] et [n'impose] pas une obligation de démontrer un risque ou un danger pour la santé pour que le règlement soit appliqué» (paragr. 49).

En outre, le TAT a ajouté que l'application de cet article n'est pas subordonnée à la démonstration d'un travail statique, car «[s]i telle était l'intention du législateur, cela aurait été indiqué clairement dans le règlement» (paragr. 50).

Les droits de la direction

En réponse à la prétention de l'employeur suivant laquelle l'aménagement des lieux et sa politique «d'approche proactive» relevaient de ses droits de direction, le TAT a souligné que ces derniers ne sont pas illimités, plusieurs lois et règlements, dont la Loi sur la santé et la sécurité du travail ainsi que le Règlement sur la santé et la sécurité du travail, ayant d'ailleurs pour objet de les encadrer.

Sur la question, le TAT a ajouté :

[62] On ne peut prétendre que le droit de gérance d'un employeur lui permet de faire fi de la réglementation par ses choix d'aménagement.

[63] Il est clair que l'obligation de permettre l'usage d'un banc ne peut être désincarnée de l'obligation pour l'employeur d'aménager les lieux en conséquence. Ainsi, si l'employeur peut décider de la façon dont il s'acquittera de son obligation, il doit quand même le faire pour respecter l'esprit de la loi et en faisant les modifications si nécessaire pour que l'usage de ces bancs soit efficace.

Le TAT a par ailleurs noté que la Commission des lésions professionnelles (CLP) avait précisé les limites de l'article 170 du règlement dans Centre Sheraton et Syndicat des travailleurs et travailleuses du Centre Sheraton, citant à cet effet le passage suivant, relatif à l'exercice des droits de la direction dans le contexte de l'application de cet article:

[40] L'article 170 du Règlement prévoit que, dans la mesure où la nature du travail le permet, l'employeur doit mettre des chaises ou des bancs à la disposition des travailleurs. Il ne précise pas où doivent être installés ces chaises ou bancs ni ne mentionne qu'ils doivent être accessibles en permanence. Une telle interprétation a pour effet d'ajouter au texte de l'article 170 et va au-delà du but visé par le Règlement. Même si la nature du travail le permet et que l'employeur doit mettre des chaises ou bancs à la disposition des travailleurs, il conserve son droit de gérance et peut décider de la façon dont il s'acquittera de cette obligation en tenant compte de l'ensemble des conditions dans lesquelles le travail s'exécute.

Le TAT a toutefois pris soin d'indiquer que cet énoncé doit être nuancé et qu'il faut «surtout ne pas l'appliquer hors du contexte de cette décision». Plus particulièrement, il a rappelé que, «dans cette affaire, l'employeur demandait de rétablir la décision de l'inspectrice qui avait conclu que, par l'aménagement d'un poste où le travail pouvait se faire assis pendant cinq minutes sur une demi-heure» (paragr. 60), celui-ci satisfaisait à son obligation de mettre des bancs à la disposition des travailleurs.

Le TAT a constaté que la situation dans le dossier en litige devant lui était différente en ce que, quelques mois après la délivrance de l'avis de correction, l'employeur avait procédé à un réaménagement de son établissement sans tenir compte de celui-ci et de façon à rendre l'usage des bancs difficile par les contraintes architecturales qu'il a créées.

Références

  • Librairie Renaud-Bray inc. et Représentante à la prévention (T.A.T., 2017-01-27), 2017 QCTAT 415, SOQUIJ AZ-51361650, 2017EXPT-414. Pourvoi en contrôle judiciaire (C.S.), 500-17-097730-173.
  • Centre Sheraton et Syndicat des travailleurs et travailleuses du Centre Sheraton (C.L.P., 2005-03-14), SOQUIJ AZ-50300276, C.L.P.E. 2004LP-321, [2004] C.L.P. 1722. Requêtes en révision judiciaire rejetées (C.S., 2006-03-22), 500-17-025263-057 et 500-17-025217-053, 2006 QCCS 1622, SOQUIJ AZ-50363681, C.L.P.E. 2005LP-310, [2005] C.L.P. 1727. Requête pour permission d'appeler accueillie (C.A., 2006-05-16), 500-09-016612-061. Appel rejeté (C.A., 2006-11-20), 500-09-016612-061, 2006 QCCA 1498, SOQUIJ AZ-50399047

Pour plus d'information

Me Sylviane Noël

Me Sylviane Noël
Conseillère juridique

Me Sylviane Noël est conseillère juridique à SOQUJ depuis 1998. Elle se spécialise en droit de la santé et de la sécurité du travail. Elle est l'auteure d'articles qui ont été publiés dans L'Express Travail.