Selon l'article 326 de la Loi sur les accidents de travail et les maladies professionnelles, le coût des prestations versées en raison d'une lésion professionnelle doit être imputé à l'employeur. La loi a toutefois prévu diverses exceptions à ce principe qui permettent notamment de transférer l'imputation du coût à l'ensemble des employeurs lorsque celle-ci a pour effet d'obérer injustement l'employeur visé.
Alors que les décideurs s'entendent généralement quant au caractère injuste de certaines situations (grossesse ou maladie intercurrente, p. ex.), il existe une divergence d'interprétation à l'égard des situations relevant des relations du travail, telles que le congédiement, la démission et la retraite. En effet, 2 courants s'opposent.
Le courant majoritaire
Selon ceux qui adhèrent à ce courant, de telles situations ne peuvent obérer injustement un employeur puisque la fin d'un emploi fait partie des risques inhérents aux activités de tout employeur. En effet, afin d'exercer sa mission, l'employeur a besoin de travailleurs étant donné que, sans ces derniers, il ne pourrait faire fonctionner son entreprise. Ces événements n'étant ni inusités ni exceptionnels, l'employeur doit donc supporter les coûts qui découlent d'une fin d'emploi.
Le courant minoritaire
Les décideurs qui adhèrent à ce courant considèrent que ces situations peuvent obérer injustement l'employeur, car elles ne découlent pas de ses activités. Même s'ils reconnaissant que la fin d'emploi fait partie des aléas du marché du travail, ils distinguent cette situation des risques pour lesquels l'employeur s'assure en cotisant au régime public. La fin d'emploi étant donc étrangère au dossier d'expérience, l'employeur pourra avoir droit à un transfert de coûts.
Décisions intéressantes en 2021
Bien qu'elles traitent du même sujet (un départ à la retraite qui interrompt une assignation temporaire), qu'elles soient rédigées lors de la même période (avril 2021) et que les décideurs aient refusé la demande de transfert des coûts de l'employeur, chacun a choisi d'adhérer à un courant opposé.
Dans cette décision, le travailleur bénéficiait d'une assignation à des travaux légers à la suite d'une lésion professionnelle. Dans le cadre d'un programme de départ mis en place par l'employeur, ce dernier a alors pris sa retraite. Le Tribunal, adhérant au courant minoritaire, a conclu que, même si la décision finale appartenait au travailleur, l'employeur avait influencé ce choix en offrant une indemnité avantageuse. Dans ses circonstances, l'employeur pouvait difficilement prétendre à une injustice, et ce, même si la CNESST avait subséquemment repris le versement d'une indemnité de remplacement du revenu (IRR) jusqu'à la date où la capacité d'emploi avait été déterminée. Selon ce décideur, il est important d'analyser les faits de chaque cas au fond afin de qualifier ou non une situation d'injustice.
Dans cette décision, la travailleuse avait prévu la date de sa retraite bien avant la survenance de sa lésion professionnelle. Ainsi, alors qu'elle bénéficiait d'une assignation temporaire, la travailleuse a pris sa retraite à la date prévue et le versement de l'IRR a repris. Le Tribunal, adhérant au courant majoritaire, a conclu que l'employeur n'avait pas été obéré injustement puisque cette situation faisait partie des risques reliés aux activités de tous les employeurs. Le décideur a d'ailleurs rappelé que les critères d'analyse de la notion d'«injustice» ne devaient pas changer pour chaque cas d'espèce, mais qu'ils devaient plutôt dégager une ligne de conduite. Selon lui, le fait que la prise de la retraite fasse partie des risques inhérents à tous les employeurs n'était pas pertinent, car rien dans la loi ne justifie un traitement différent pour une situation susceptible de se produire chez tous les employeurs plutôt que chez 1 seul employeur.
Que nous diront les prochaines décisions ?
Qu'importe le courant auquel adhère le décideur, il demeure que la fin d'emploi constitue un événement qui n'est guère exceptionnel dans la cadre des relations du travail. Il serait donc intéressant de porter attention aux prochaines décisions à cet égard afin de connaître l'évolution de cette divergence jurisprudentielle puisqu'elle aura certainement des répercussions sur de nombreux dossiers de financement.
Références
- Agropur Coopérative Québec (T.A.T., 2021-04-29), 2021 QCTAT 2089, SOQUIJ AZ-51763186, 2021EXPT-841.
- CLSC La Source (T.A.T., 2021-04-26), 2021 QCTAT 2022, SOQUIJ AZ-51762021, 2021EXPT-885.