Le samedi 23 novembre 2024
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Honnêteté envers l'employeur: qui vole un œuf…

14 octobre 2022

De minimis non curat lex? La loi n'a cure des bagatelles? Pas lorsqu'il s'agit d'appropriation ou de vol des ressources de l'employeur.

Nul besoin de répéter que l'un des piliers du contrat de travail est le «lien de confiance» devant exister entre l'employeur et l'employé.

Dans un tel contexte, il va de soi qu'il n'existe pas de petits larcins ni d'entorses mineures au devoir d'honnêteté.

Une faute grave

Ainsi, la jurisprudence considère habituellement que tout vol, toute appropriation ou tout détournement de biens appartenant à l'employeur constituent des fautes graves justifiant l'imposition d'une mesure disciplinaire.

À cet égard, je vous renvoie à la sentence arbitrale confirmant le congédiement d'un caissier zélé qui avait eu la mauvaise idée de détourner au profit d'une cliente des points fidélité non réclamés d'une valeur de 5,61 $.

Des cas d'espèce

Bien entendu, chaque cas est un cas d'espèce devant être décidé à la lumière de ses faits propres, plusieurs facteurs pouvant influer sur le sort du fautif. L'analyse du Tribunal pourra notamment porter sur :

  1. L'existence d'une sanction automatique prévue dans la convention collective;
  2. La violation d'une politique connue de l'employeur;
  3. L'intention du salarié et la nature du geste;
  4. Le caractère prémédité, ou répétitif, de l'acte;
  5. La transparence et l'honnêteté du salarié durant l'enquête;
  6. La reconnaissance de la faute et l'expression de regrets;
  7. L'ancienneté et le dossier disciplinaire du salarié.

Incidence sur le lien de confiance

Cela étant dit, est-ce que toute appropriation de biens porte atteinte au lien de confiance?

Une récente sentence arbitrale revisite la question.

En effet, dans Syndicat canadien de la fonction publique et parapublique, section locale 4790 et Ville de L'Ancienne-Lorette, le salarié, à la vue de son supérieur, avait pris de 300 à 400 millilitres d'huile pour éviter des dommages à sa voiture, dont le réservoir d'huile à freins avait commencé à présenter des fuites. Qualifiant sa conduite de «vol», l'employeur lui a imposé une suspension de 7 jours, que l'arbitre a réduite à 3 jours.

D'abord, que le principe soit précisé ou non dans une politique de l'employeur, l'arbitre a reconnu qu'il n'est pas toujours aisé, en pratique, de déterminer jusqu'où va l'interdiction d'utiliser les ressources de l'employeur à des fins personnelles:

[95]     [ ] Cela peut aller de soi, mais est-ce toujours si évident? Pensons à la personne qui a accès à un ordinateur et qui, pendant sa période de lunch, utilise le papier et rédige au traitement de texte une lettre pour la direction de l'école que son enfant fréquente ou encore à la personne qui doit envoyer une copie d'un contrat de quelques pages et qui utilise l'imprimante au travail pour faire cette copie ou au cuisinier ou aide-cuisinier qui, après avoir préparé un potage, en prend un bol pour ne donner que quelques exemples.

En d'autre termes, que faire des cas où l'appropriation est en quelque sorte «innocente»? Peut-on alors parler de «vol» et invoquer une atteinte au lien de confiance? L'arbitre ne le croit pas:

[107]   Dans la présente affaire, l'Employeur a imposé une sanction de sept jours pour vol de matériel appartenant à la Ville. Pour les raisons mentionnées ci-devant, je suis d'avis que le geste posé ne peut être qualifié de vol, la preuve ne permettant pas de conclure à une intention malhonnête ou frauduleuse. Or, l'élément le plus déterminant dans la qualification de la gravité d'un vol, surtout de biens de peu de valeur, est la malhonnêteté. C'est l'intention malhonnête qui est considérée de nature à altérer la confiance requise dans la relation employé-employeur. (Nos soulignés.)

Rôle de l'employeur

Mais encore, l'arbitre est allé plus loin en estimant que le contremaître sous les yeux duquel le salarié s'était approprié l'huile en question avait manqué «une belle occasion» d'intervenir et de permettre au salarié d'amender sa conduite, soit l'objectif ultime de la règle de la progression des sanctions.

En ce sens, il incomberait dans une certaine mesure à l'employeur de préciser et de communiquer son «seuil de tolérance» en matière d'utilisation de ses ressources à des fins personnelles.

Parce que qui vole un œuf ne vole pas nécessairement un bœuf

Pour plus d'information

Philippe Buist

Philippe Buist
Conseiller juridique

Philippe Buist est conseiller juridique à SOQUIJ depuis 2012. Il a auparavant pratiqué le droit commercial en cabinet privé, plus particulièrement en matière de litige et de redressement d'entreprises. Il s'intéresse surtout aux domaines de la faillite et de l'insolvabilité, des sûretés, des valeurs mobilières et de la fiscalité.