Liberté d'expression commerciale ou pollution visuelle? Les panneaux publicitaires en milieu urbain comptent leur lot de détracteurs, mais les entreprises publicitaires qui les gèrent tiennent à les maintenir en place pour de nombreuses années à venir, vu les revenus qui y sont associés. Sur le Plateau-Mont-Royal, par contre, les élus de l'arrondissement en ont décidé autrement.
Le 21 juillet 2010, ceux-ci ont carrément interdit les panneaux-réclame sur tout le territoire de l'arrondissement. Or, ce règlement ne visait pas les panneaux déjà existants. Comme dans tout règlement municipal, le principe du droit acquis existe : l'usage légal, qui avait cours avant l'entrée en vigueur du règlement et qui est maintenu, est protégé. L'implantation de cet usage après l'entrée en vigueur du règlement ne l'est pas.
Toutefois, l'arrondissement et son maire, Luc Ferrandez, font volte-face quelques mois plus tard. Un autre règlement, cette fois bannissant les panneaux-réclame déjà existants, est adopté par résolution le 1er novembre 2010. Son entrée en vigueur est prévue pour le 23 décembre 2011. À partir du 1er novembre 2010, les entreprises gérant les panneaux-réclame ont 12 mois pour les enlever. Du côté du conseil d'arrondissement, on justifie cette décision en invoquant que les enseignes constituent une pollution visuelle et le faible revenu que l'arrondissement en retire (40 000$ pour 45 enseignes sur le territoire de l'arrondissement).
C'en était trop pour trois entreprises du domaine de l'affichage : Astral Affichage, CBS Affichage et Pattison Affichage contestent la légalité de ce règlement en Cour supérieure. Le fondement du recours de ces entreprises est multiple. Analysons certains moyens soulevés par les demanderesses devant le tribunal.
Elles plaident, d'une part, que l'arrondissement n'a pas le pouvoir de prohiber un usage sur l'ensemble de son territoire. En effet, l'article 113, paragraphe 4 de la Loi sur l'aménagement et l'urbanisme permet aux municipalités de régir, sur leur territoire, l'utilisation des panneaux-réclame et l'article 131 de la Charte de la Ville de Montréal délègue aux arrondissements la compétence de la ville-centre en cette matière. Toutefois, un principe largement reconnu en droit municipal veut que régir, ce n'est pas interdire. Ainsi, une autorité réglementante peut interdire une activité à certains endroits, et non l'ensemble de son territoire. Toutefois, l'argument de la Ville de Montréal pourrait fort bien être que le règlement ne prohibe pas cette activité sur l'ensemble du territoire de la Ville de Montréal, mais seulement dans un arrondissement, soit le Plateau-Mont-Royal. Alors, la décision du tribunal à cet égard dépendra de ce qu'il considérera comme étant l'ensemble du territoire : la ville au complet ou bien l'arrondissement.
Les entreprises publicitaires demanderesses plaident également la théorie de l'expectative légitime. Cette théorie veut qu'un organisme public ayant fait naître une expectative donnée par ses gestes, son comportement et ses promesses envers un citoyen, doit jusqu'à un certain point se conformer à cette expectative. En droit québécois, les tribunaux sont très réticents à appliquer la théorie de l'expectative légitime. Toutefois, dans le présent cas, le premier règlement bannissant les panneaux-réclame ne s'appliquait pas à ceux déjà existants. Qui plus est, ce même règlement prévoyait la possibilité d'obtenir des certificats d'autorisation pour avoir le droit de maintenir les panneaux existants en place, consacrant ainsi le principe des droits acquis. Or, à peine quelques mois plus tard, l'arrondissement a fait volte-face, imposant l'enlèvement de tous les panneaux-réclame. L'adoption du premier règlement, reconnaissant la protection des droits acquis, impliquerait-elle que l'arrondissement ne pouvait faire marche arrière sur cette question?
Il est vrai qu'une expectative légitime peut faire naître des obligations pour un organisme public. Cependant, une municipalité ne peut s'engager à légiférer dans un sens particulier envers un tiers dans le cadre d'une obligation contractuelle. Ainsi, les demanderesses prétendent qu'en vertu de la théorie de l'expectative légitime l'arrondissement aurait perdu la compétence de modifier son règlement d'urbanisme. Toutefois, le présent dossier ne semble pas être un cas où le tribunal, afin de protéger un citoyen, forcerait le respect d'une promesse faite par l'administration publique. Finalement, la théorie de l'expectative légitime en droit québécois n'a reçu application principalement que dans les cas où le non-respect de la promesse faite par l'administration publique équivalait à traiter injustement le citoyen.
Les demanderesses plaident également, dans leur requête, que le règlement de l'arrondissement constitue une expropriation déguisée. Il est vrai que le Code civil du Québec, à l'article 952, protège les citoyens contre les expropriations. Les tribunaux n'interviennent pas fréquemment lorsque l'effet d'un règlement affecte simplement la valeur d'un immeuble. Toutefois, ceux-ci ont déjà déclaré nul ou inopposable au propriétaire de l'immeuble un règlement ayant pour effet de priver le propriétaire de l'usage de sa propriété. Dans le cas présent, on peut en effet se demander à quoi pourraient servir les immeubles à revenus logeant les panneaux-réclame, après l'entrée en vigueur du règlement. Cet argument est à notre avis intéressant et les procureurs de la Ville de Montréal devront convaincre le tribunal qu'il s'agit là d'une limite raisonnable aux droits des propriétaires des panneaux-réclame.
Il existe en matière de guerre juridique opposant une autorité municipale et une entreprise d'affichage publicitaire. En 2009, cinq arrondissements de la Ville de Québec avaient adopté des règlements bannissant les panneaux-réclame de leur territoire respectif. Les entreprises d'affichage concernées avaient contesté la légalité de ce règlement à la Commission municipale du Québec. La Commission avait donné raison aux entreprises en se basant sur le Plan directeur d'aménagement et de développement (le plan directeur) de la ville de Québec, jugeant que les règlements d'arrondissement n'avaient pas été adoptés en conformité avec ce plan directeur.
La décision du tribunal dans le présent dossier, si celui-ci se rend à procès, risque fort d'avoir un impact important sur le pouvoir municipal de réglementer. En effet, les élus du Plateau-Mont-Royal clament ouvertement qu'ils souhaitent que leur action fasse boule de neige et soit imitée par d'autres villes du Québec, voire du Canada et de l'Amérique du Nord. La Ville de Montréal, de son côté, plaidera sans doute que le tribunal n'a pas à se substituer au conseil d'arrondissement afin de déterminer la nécessité ou l'utilité du règlement. Mais parfois, la ligne est mince entre analyser le bien-fondé d'un règlement et sa légalité.