En cette période d’abondance, je suis conscient que je marche sur des œufs, mais je ne peux garder le silence. S’il y a une chose qui va contre mes principes, moi qui suis un grand gourmand, mais aussi un grand sensible, c’est de gaspiller de la nourriture… C’est une conviction dont j’ai hérité de Marthe, ma mère, une excellente cuisinière dotée d’un solide sens des valeurs. Un brin soupe au lait, elle nous disait souvent « Finis ton assiette », car jeter de la bouffe à la poubelle, c’était à ses yeux tout simplement inacceptable, parce qu’il y a des gens qui ne mangent pas. C’était vrai à l’époque et ce l’est encore de nos jours, à l’aube de 2010, alors que l’Organisation des Nations Unies (ONU) estime que plus d’un milliard d’humains sur terre ne mangent pas à leur faim et pas seulement à l’autre bout du monde.
Si dans les années 60, le spectre des rachitiques biafrais illustrait ce fléau, le nouveau visage de la faim nous est désormais beaucoup plus familier. La faim? C’est désormais bien plus souvent aujourd’hui, celle de nos proches voisins, qui attendent patiemment en rang d’oignons devant une de ces nombreuses soupes populaires qui ont poussé comme des champignons. Mais ce qu’il y a de plus indigeste dans cette situation, c’est que pendant que tant d’estomacs vides gargouillent, haut et fort, nous continuons de jeter à la poubelle des tonnes et des tonnes d’aliments qui pourraient pourtant faire le bonheur de bien des ventres affamés.
Vous savez que les récents bulletins de mauvaises nouvelles ont fait grand état ces dernières semaines des problèmes que vivent nos banques alimentaires… Quand j’entends ça, la moutarde me monte au nez. D’autant plus que non seulement ces banques alimentaires manquent de vivres, mais elles doivent surtout faire face à de plus en plus de demandes, notamment pour nourrir une fois sur trois, des enfants. C’est d’une tristesse! Cela dit, j’ai beau être ébranlé, je demeure un peu sur ma faim, et je m’explique. Car une vraie bonne nouvelle aurait dû aussi attirer notre attention. Car un nouveau service, celui de La Tablée des Chefs, pourrait subvenir en quasi-totalité aux besoins de nos banques alimentaires, non seulement durant ce temps des fêtes comme le veulent les très louables guignolées, mais durant toute l’année, car la faim n’a pas de fin.
Wow! Mais c’est quoi au juste cette solution miracle? Soyons clair, y’a pas de miracles au menu. Par contre, un audacieux service de courtage vient de voir le jour, pour orchestrer la récupération et la redistribution des surplus alimentaires générés par les restaurants et les hôtels, de même que par les grands rassemblements. Et on ne parle pas ici des assiettes individuelles dans lesquelles Mme Dubuc ou M. Goyette ont picossé quelques bouchées de tout et laissé le reste. Non on parle bien ici des excédents de bouffe inutilisés et de succulents plats intouchés! Il fallait bien François Archambault, directeur et fondateur de la Tablée des Chefs, pour mijoter pareil projet à la fois écologique et humanitaire. Après un passage remarqué dans les chaines Fairmount et Marriott, il y a tellement cru et y croit tellement, qu’il a même pris les bouchées doubles pour s’y consacrer à plein temps. Oui, l’initiative tout comme lui, a du cœur au ventre et du ventre au cœur.
Mais ça mange quoi en hiver ce service de courtage de la Tablée des Chefs? (https://courtage.tableedeschefs.org) eh bien justement, ça mange pas mal de tout… Lorsqu’on attend par exemple 120 personnes au buffet annuel mettons, disons, supposons, de l’association des hommes-grenouilles de Rivière-des-Prairies et qu’il n’en vient que 80, les denrées excédentaires peuvent désormais être dirigé, non pas vers la poubelle, mais vers nos banques alimentaires, qui elles vont les acheminer aux soupes populaires et autres organismes communautaires. Et ne mâchons pas nos mots… ça fonctionne… Déjà, la Maison du Père, la Maison Bon Accueil, la Mission Old Brewery, de même que l’Accueil Bonneau en bénéficient. Il en est de même à Moisson Québec, l’Association Bénévole de Charlevoix, et au Centre de Bénévolat de Laval, et on pourrait aisément couvrir presque tout le Québec, pour ne pas perdre une miette.
Juste au Centre Bell à Montréal depuis maintenant 2 ans, on a réussi a « sauver » et surtout à redistribuer, tenez-vous solidement à votre chaise = 60,000 repas. Et détrompez-vous, si vous croyez qu’on parle ici de hot-dogs, de pizzas ou de nachos, non vendus lors des joutes de hockey, matchs de boxe et spectacles rock… Non non! Un indice? Pensez plutôt aux loges privées où on traite vraiment aux petits oignons les invités chanceux qui ont souvent droit à de bien raffinés buffets. Il n’est pas rare qu’il y ait en trop, de succulentes côtes de bœuf, des suprêmes de pintade, des mini-brochettes variées, du couscous royal, du riz aux légumes, des sandwichs gourmets, des crudités, et des desserts à tomber par terre bref, la liste pourrait être longue. Et ce n’est qu’une entrée en matière. Le plat de résistance, c’est que la Tablée des chefs voudrait bien convaincre les centaines d’autres concessions de LÉVY Restaurants, qui desservent la presque totalité des amphithéâtres en Amérique du Nord, de mettre la main à la pâte et d’emboîter le pas au généreux Centre Bell.
Et puis il y a les hôtels et les restaurants. Je ne lance pas de tomates à personne, car ce serait pur gaspille, mais… les buffets de type « All you can eat” (buffet à volonté) pourraient fort à propos être rebaptisés « all you can throw » (tout ce que vous pouvez jeter), car on jette, on jette! Pour avoir travaillé longtemps en hôtellerie pour « gagner » mes études, il est arrivé souvent que la moutarde me monte au nez, quand après le party, on me demandait de jeter, oui jeter autant de victuailles. Je n’irai pas avec le dos de la cuillère, mais c’est un type de gaspillage qui est particulièrement l’apanage des grands hôtels et je m’explique. Les grands établissements sont en effet particulièrement propices à pareil gaspillage, même si leurs buffets ne portent pas le titre racoleur « all you can eat ». Dans un établissement hôtelier moyen, vous aurez souvent d’entrée de jeu quatre salades. Or il y a fort à parier que si vous faites partie des derniers convives à vous présenter devant le buffet dégarni, il ne vous restera, pauvre vous, que de la salade aux patates. Bien bon pour vous! Ce n’est pas le cas les grands restos (arborant fièrement 4 ou 5 diamants), car s’il y a 6 salades pour les premiers clients qui se servent, il devra aussi y en avoir 6 pour les touts derniers, d’où les surplus.
Jusqu’à maintenant, du côté des grands hôtels, de gros joueurs ont décidé de se mettre à table. C’est le cas du Centre Sheraton Montréal, du Hilton Montréal Bonaventure et du Manoir Richelieu. Le Delta et le Hyatt Regency à Montréal se sont aussi dits intéressés, et devrait accepter ces prochains jours l’invitation de la Tablée des Chefs. Mieux encore, l'Association des hôtels du grand Montréal, qui regroupe 75 établissements sera rencontrée afin d’étendre et de maximiser l’impact de cette belle alternative. Et on veut aussi pousser vers Québec et ses extraordinaires restaurants et hôtels, qui, s’ils n’embarquaient pas, seraient en quelque sorte dans la soupe chaude.
Au fait, il n’y a pas que les hôtels et restaurants qui pourraient cesser de jeter tout en comblant un besoin essentiel… Le Mouvement Desjardins aussi a décidé de s’occuper de ses oignons, lors d’une vingtaine d’événements majeurs et nationaux, mais aussi lors d’une trentaine de rencontres régionales du mouvement et de ses membres. Il en est de même lors de chacune des assemblées générales des 536 caisses populaires Desjardins. Tant et si bien, qu’avec tout ce beau monde depuis 2002, déjà, on estime que 300,000 portions de nourriture ont pu être distribuées aux banques alimentaires du Québec. Moi, si j’étais à la place de Jean-François Archambault, je serais rouge comme une tomate, tellement je serai fier comme un coq, au vin. Et ça ne fait que commencer… Car une fois de plus, l’effet d’entraînement opère. Un peu comme « elles sont plus fraiches parce que plus de monde en mange, et plus de gens en mangent, car elles sont plus fraiches » l’initiative de la Tablée des Chefs séduit exponentiellement. Après Desjardins, Hydro-Québec signera bientôt, et la SAQ devrait faire de même si tout va bien, quelque part en 2010.
Bon c’est plus que louable tout ça, mais c’est sécuritaire cette pratique? Non d’une tourtière du Lac St-Jean, c’est primordial quand même l’innocuité de ce que l’on mange, vous serez sans doute d’accord. De la bouffe qui passe de longues minutes et même plusieurs heures à attendre patiemment qu’on la déguste, ce n’est pas sans danger non ? On y a pensé évidemment… Même que la Directrice du Service d’Inspection et de la santé Animale du MAPAQ est membre fondatrice de la Tablée des Chefs. On évite la fameuse zone critique comprise entre 4 et 10 degrés. Et puis il y a non pas des indésirables, mais des types d’aliments qu’on tentera d’éviter en guise de précaution, tels les poissons crus de type sushis, les poissons et fruits de mer en général, de même que les tartares, les salades auxquelles ont a déjà mélangé de la vinaigrette contenant de la mayonnaise.
Bon et si, mettons que, disons, supposons qu’à l’autre bout de la chaîne M. Leboeuf ne digère pas bien, la moussaka végétarienne, le potage au cou d’autruche à la cardamome ou le mignon de wapiti à la moutarde de Meaux? Pour avoir œuvré longtemps et encore en hôtellerie, c’est la phobie des chefs comme des dirigeants. Imaginez… En voulant bien faire et se voulant généreux, on fait don d’aliments excédentaires, puis oups soudain, des plaintes surgissent ou pire des poursuites? Freakez pas chefs ! Si, ça arriverait, sachez que vous ne pourriez pas être reconnu coupable de négligence. Connaissez-vous la « loi du bon samaritain » ? L’article 1471 du Code civil du Québec prévoit que quelqu’un qui porte secours à une autre personne, et c’est exactement de ça dont on parle, est exonéré de toute responsabilité pour un dommage qui serait causé à cette personne, à moins bien sûr, mais ce ne sera pas le cas, que le dommage ne résulte d'une faute d’insouciance, d’imprudence, ou de négligence grossière.
Mais on fera tout pour que ça n’arrive pas, car l’idée maîtresse du service de courtage de la Tablée des Chefs, c’est qu’on va faciliter, oui faciliter, c’est le mot clef… le bon fonctionnement des opérations, et ce, en toute sécurité. On rappellera aux restaurateurs et autres donateurs potentiels qu’il vaut mieux éviter les sushis et tartares de même que les poissons et salades déjà mélangées à une vinaigrette à la mayonnaise, mais plus encore. On mettra en contact les organismes qui recherchent des repas supplémentaires avec les entreprises ou particuliers qui souhaitent offrir leurs surplus d'aliments. On fournira même aux donateurs les contenants en aluminium qui serviront à accueillir les milliers de portions qui s’envoleront gageons-le, comme de petits pains chauds. Oui vraiment, il y a de quoi en faire tout un plat!