Je suis un petit pêcheur. Or ça ne m’empêche pas de poser fièrement, ci-contre, avec les deux beaux gros dorés que j’ai pêchés ces derniers jours, dans le Saint-Laurent juste en face de chez moi. Mais je me sens surtout pécheur, et de ce fait coupable, car je viens de me procurer des fruits de mer que je n’aurais peut-être pas dû acheter. Pourquoi? Pour une raison bien simple, parce que l’espèce en question qu’on m’a vendue en conserve, la mactre de Stimpson, est un mollusque peu connu, mais dont on craint déjà la surexploitation. Alors pourquoi est-ce que j’en ai acheté me demanderez vous ? Eh bien parce que je ne le savais pas, et qu’on m’en a offert avec tellement d’enthousiasme dans une belle poissonnerie des Escoumins, lors de mon escapade sur la Côte-Nord dont je vous jasais récemment (detail_chronique.php?ID=361690) C’est bête, mais c’est comme ça. En fait, j’aurais du le savoir, quand j’ai voulu faire découvrir le délicieux petit gout de homard et de pétoncle de la mactre, à nos amis Monique et Jean-Guy, moi qui nage dans le développement durable. Et j’aurais doublement dû le savoir, car il y a maintenant une liste rouge des poissons et fruits de mer au Canada qui sont menacés par la surpêche ou la malpêche…
Je sais… Le mot malpêche n’existe pas… Pas encore. Mais le français est une langue vivante et je ne me priverai pas d’inventer les mots qu’il faut pour décrire nos nouvelles réalités, ce ne sera pas la première fois… On parle de surpêche lorsqu’on pêche trop et qu’on en vient littéralement à épuiser l’espèce. C’est ce qui est déjà arrivé par exemple à notre stock de morues qui est bien loin d’être un cas isolé... La FAO, l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture, estime en effet que 52 % des stocks de poissons sont actuellement pleinement exploités, que 19 % sont surexploités et que 8% sont dramatiquement épuisés. À ce rythme, la très crédible revue Science, estime d’ailleurs que d’ici 2050, nous courons de sérieux risques que la grande majorité des stocks de poissons et d'invertébrés soit alors tout bonnement épuisée.
Pour ce qui est de la malpêche, c’est quant à moi lorsqu’on pêche trop, mais qu’en plus on pêche mal, lorsqu’on utilise des pratiques de pêche destructrices. Connaissez-vous le chalutage de fond ou la palangre? Pour capturer des quantités toujours plus grandes de poissons, on laboure littéralement les fonds marins en capturant tout, aveuglément et sans discernement. On estime qu’annuellement, 27 millions de tonnes de captures « accidentelles » sont faites dans les océans. Certes on les rejette ensuite, mais dans quel état? À bon entendeur, Chalut !
Alors, c’est quoi au juste cette fameuse liste rouge publiée par Greenpeace Canada et basée sur les plus récentes études scientifiques, de la Marine Conservation Society (MCS), SeaChoice et la FAO? Disons que ce sont 15 espèces de poissons et de fruits de mer, vendus au Canada par nos supermarchés, même s’ils sont menacés par la surpêche et la malpêche. Outre la morue de l’Atlantique et les thons rouges, albacore et obèse, elle comprend 13 autres espèces, dont la crevette tropicale, les flétans de l’Atlantique et du Groenland, les pétoncles géants et le saumon d’élevage de l’Atlantique, entre autres. et obèse, elle comprend 13 autres espèces, dont la crevette tropicale, les flétans de l'Atlantique et du Groenland, les pétoncles géants, et le saumon d'élevage de l'Atlantique, entre autres.... Pour consulter la liste rouge? Rien de plus simple, vous n’avez qu’à cliquer ici (https://www.greenpeace.org/canada/fr/campagnes/oceans/notretravail/supermarches/listerouge). Ces espèces y figurent soit parce que la méthode de pêche ou de production engendre généralement des répercussions négatives sur elles ou d’autres espèces marines, soit que la pêche ou l’élevage de cette espèce entraîne la détérioration de l’écosystème, quand elle n’est pas simplement mal gérée ou pêchée de façon illégale. Bref, les niveaux de population de ces poissons et fruits de mer, ainsi que les pratiques de pêche employées, causent des inquiétudes quant à la conservation de l’espèce.
Remarquez que je ne suis pas le seul à mal connaître cette fameuse liste rouge… En allant à mon marché Métro à Saint-Augustin ces derniers jours, je me suis retrouvé, nageoire à nageoire, avec la responsable de la poissonnerie ou devrais-je dire la capitaine, si je me fie au chapeau marin bleu qui me suggérait qu’il y avait peut-être en arrière-boutique, un quai et de nombreux navires de pêche ? Notre conversation à maquereau levé s’est bien vite avérée propice,mine de rien, à des questions de fond. « Vous avez déjà entendu parler de la liste rouge? » Réponse = Non! « Vous savez qu’il y a des espèces de poisson qu’on ne devrait plus pêcher ou que surtout, vous ne devriez plus vendre? Je vous dis qu’elle filet doux… Après une longue hésitation, j’ai cependant pu l’entendre timidement me dire, du bout des lèvres et sur un ton interrogatif : la morue et le thon???? Bravo capitaine Cormier… ! Par contre, la liste rouge est bien plus longue que ça, et je me suis fait un plaisir de lui en expédier un exemplaire par courriel.
Sa réaction ne m’a pas surpris, car la fameuse liste rouge publiée en 2008 ne semble avoir changé grand-chose aux pratiques de nos supermarchés québécois, pour l’instant du moins. À l’exception de Loblaws, nos supermarchés n’onttoujours pas de politique claire, en ce qui a trait à leur approvisionnement en produits de la mer. Pire encore, dans tous les supermarchés, Loblaws (Provigo, Maxi) Sobeys (IGA), Walmart, Costco et Métro, on retrouve encore de 6 à 14 des 15 espèces pourtant problématiques. Tant et si mal, qu’aux yeux de Greenpeace Canada, aucun d’entre eux n’obtient la note de passage, et cinq supermarchés ont tout simplement coulés, et héritent de ce fait d’un beau zéro. https://www.greenpeace.org/canada/fr/campagnes/oceans/notretravail/supermarches/classement/
Sans aller jusqu’à me répondre, je m’en fish, vous me direz peut-être, qu’est-ce que je peux bien y faire? D’accord… Vous ne mangez quand même pas juste du steak et de patate non, du moins je vous le souhaite? Vous devez de temps en temps opter pour du poisson, oui? Alors, ça vous concerne, et vous faites partie de la solution, puisque vous en achetez et exercez un rôle décisionnel important dans vos poissonneries et supermarchés de Trois-Rivières, Chambly, Frelisburgh,Rivière-du-Loup, Fleurimont, ou de Senneterre. Frais ou congelés il en passe devant la caisse enregistreuse de nos supermarchés pour 2 milliards de dollars, annuellement au Canada. Donc, ça vous concerne tout comme cela concerne stratégiquement nos supermarchés, que l’achat soit fait ou non en argent liquide. Car ils ont en effet un rôle décisionnel stratégique puisque ce sont eux qui choisissent les produits de la mer qu’ils achètent et nous vendent par la suite. C’est d’ailleurs pour ça que la liste rouge de Greenpeace a été conçue en fonction des supermarchés, et de leur impact sur les pêcheries.
Le pari de Greenpeace, et j’abonde dans le sens du courant, c’est que si les consommateurs exigent de leurs supermarchés un engagement plus stricte au plan environnemental, l’effet sera concret, bien plus qu’en signant une quelconque pétition si bien intentionnée soit elle. Car non seulement certains détaillants comme Loblaws , qui a eu la meilleure, pardons la moins pire des notes, pourraient s’engager a retirer de ses étals les poissons et fruits de mer menacés qui ne sont pas issus de pêcheries durables d’ici 2013, mais plus encore. Les supermarchés pourraient alors sous la pression des consommateurs, se tourner alors vers leurs fournisseurs et n’avoir d’autres choix que de leur imposer des changements dans leurs façons de faire. Si par exemple Loblaws ( Provigo ,Maxi qui possède déjà 32 % des supermarchés au Canada, décidait de concrétiser ses « bonnes intentions» l’impact serait de taille. Le géant pourrait par exemple exiger de ses fournisseurs de saumon d’élevage qu’ils bannissent certains fongicides utilisés dans les fermes d’élevage. Il pourrait du même coup imposer qu’ils diminuent le nombre de saumons dans les enclos souvent surpeuplés, et qu’ils s’assurent véritablement qu’il ne puissent plus y avoir d’échappés de saumons d’élevage dans la mer, afin d’éviter de transmettre des parasites aux saumons sauvages… Même Métro, classé comme étant le plus mauvais élève, à accepter de rencontrer la chef de mission de Greenpeace Canada pour discuter, une autre rencontre est même prévue ces prochains jours, c’est vous dire.
Je sais… Certains d’entre vous se diront, ces mautadits activistes moralisateurs de Greenpeace… Ils vont encore faire la loi, avec en plus une liste rouge d’interdictions pour nous empêcher de manger ce qu’on aime??? OK…Respirons par les ouïes… Il m’arrive moi aussi de trouver que la façon de faire de Greenpeace est quelquefois aussi subtile et délicate qu’un cachalot entrant dans un magasin de fine lingerie. Mais le rôle de Greenpeace n’est peut-être justement pas d’être subtil et délicat, quand on y pense bien. L’heure n’est plus, en effet, aux courbettes diplomatiques, et nous n’avons de toute évidence plus d’autres choix que de hausser le thon… si on veut éviter le pire. Et l’initiative risque fort de porter fruits de mer si la persévérance est au menu… Greenpeace a talonné pendant plus de 5 ans la compagnie Kimberly Clark, afin qu’elle ne s’engage, tout récemment, à cesser de s’approvisionner dans les forêts anciennes, ce qui est une victoire pour le moins inspirante…
Verra-t-on un jour, ici, une certification qui fera l’unanimité ? En Europe où la prise de conscience a été plus rapide qu’ici, on fait grand écho à la certification de la MSC, la Marine Stewardhip Concil, vouée aux pêcheries durables. Mais Greenpeace ne trouve pas assez rigoureux le système, trop influencé voire dicté par l’industrie nous dit-on. Pas facile de concilier conservation avec marketing. Mais d’ici là, le célèbre Château Frontenac de Québec, et son chef exécutif, mon ami et ex-prof de cuisine Jean Soulard (je sais je suis un chanceux) offrent depuis cet été un buffet fruits de mer 100 % responsable. Je n’y ai pas encore gouté, mais on m’affirme avoir réussi le tour de force d’avoir concocté un menu gastronomique sain, à la fois pour la santé des océans et celle des espèces marines qui y vivent. L’expertise des biologistes de l’Aquarium du Québec en matière d’espèces menacées et de surexploitation a permis de créer cet heureux événement, qui pour l’instant n’est offert que le vendredi, ce qui est un savoureux clin d’œil à notre patrimoine religieux. Un Guide «Menu Bleu Marin» a aussi été créé afin de guider les consommateurs vers des choix plus responsables. Distribué gratuitement au restaurant Le Café de la Terrasse et à l’Aquarium du Québec le guide répertorie les poissons et fruits de mer en trois catégories, verte (meilleur choix), jaune (bonne alternative) et rouge (à éviter). Curieusement, le thon n'y figure pas, et ce dans aucune des trois catégories... Comme quoi le sujet est encore et toujours quelque peu indigeste. Mais on me jure que je menu évoluera au fil des prochaines années.
D’autres belles initiatives voient aussi le jour au Québec. 24 restaurants et 9 poissonneries de la Gaspésie ont adhéré cet été même, sur une base volontaire, au programme « Fourchette Bleue » proposé par Exploramer.(https://www.exploramer.qc.ca/fr/fourchette-bleue) Le pari de cette jeune initiative québécoise est non seulement d’éviter d’offrir des produits de la mer dont la survie est problématique, mais de promouvoir des produits de la mer un peu moins connus, comme le buccin, le concombre de mer, la grosse poule de mer, les laminaires, les oursins verts, ou la chair de phoque.La directrice générale Sandra Gauthier, qui est à l’origine de l’initiative, estime qu’en encourageant la diversification de la consommation de produits marins, on permettra aux pêcheurs de diversifier leurs prises et en bout de ligne, 800 000 visiteurs par année dont 80 % sont des Québécois, la certification « Fourchette Bleue » pourrait, doucement, mais surement avoir un impact. Si une petite famille de Montréal, qui mange, imaginons, un repas de poisson par semaine, donc une cinquantaine de repas par année, moitié morue moitié crevettes, goûte découvre et apprécie une nouvelle espèce durant ses vacances en sol gaspésien, gageons que de retour dans la métropole, elle demandera à son poissonnier de s’en procurer. Curieusement j’ai trouvé sur la liste des espèces marines accréditées Fourchette Bleue, trois espèces bannies par la liste rouge de Greenpeace… soit ma fameuse mactre de Stimpson, et les flétans de l’Atlantique et du Groenland (turbot). Encore là, on me dit que la liste évoluera, et que la mactre, pour son propre intérêt, sera selon toute vraisemblance retirée des espèces accréditées dès l’an prochain.
Et c’est bien comme ça, car toutes ces initiatives visant à guider le consommateur vers de meilleurs achats, et vers des pêcheries durables, n’en sont qu’à leurs balbutiements. Il y a donc place à de multiples améliorations. D’autant plus que la situation d’une espèce variant d’une région à l’autre du pays, et que c’est souvent non pas tant l’espèce, mais la façon de la pêcher qui est en cause, le souhait semble unanime… il nous faudrait une liste rouge spécifique à la réalité québécoise, ce qui n’était pas le mandat de la liste rouge de Greenpeace Canada. On me dit que les biologistes du Biodôme y travaillent actuellement, et que ceux de l’aquarium du Québec pourraient bien faire de même. Quand j’entends ça moi, je ne vous dirai pas que je nage dans le bonheur, mais …pas loin, car petit poisson deviendra grand.