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La peur peut-elle excuser la commission d'une infraction routière?

1 février 2019

La peur peut parfois pousser une personne à ses limites et la forcer à agir par instinct. Voici un survol de quelques causes où des personnes accusées d'infractions routières ont invoqué la défense de nécessité. 

Des scénarios effrayants

Vous êtes au volant de votre voiture, pourchassé par un conducteur agressif et menaçant qui a pointé vers vous un objet brillant Vous avez peur et tentez de lui échapper, mais il vous suit de près Vous êtes interpellé par des policiers qui, au moyen d'un appareil de détection au laser, constatent que votre vitesse était de 123 km/h dans une zone de 60 (Rosemère (Ville de)).

Vous circulez à une vitesse normale sur une route de campagne déserte et non éclairée lorsque vous remarquez qu'un véhicule vous suit de très près Vous ralentissez pour le laisser passer, mais celui-ci reste derrière vous Vous accélérez, le véhicule aussi Vous croyez un moment l'avoir semé, mais ses phares surgissent de nouveau Votre passager et vous avez très peur S'ensuit une poursuite sur plus de 5 kilomètres au terme de laquelle des gyrophares vous indiquent que vous étiez, en fait, poursuivi par une voiture de police, dont les occupants vous remettent un constat d'infraction pour avoir conduit à 169 km/h dans une zone de 80 (Lac Brome (Ville de)).

Vous êtes dans un bar et avez consommé beaucoup d'alcool. Trois individus vous attendent à la sortie et vous agressent. Couvert de sang, vous courez vers votre voiture et prenez la fuite alors que 1 des agresseurs s'acharne à frapper dans la vitre de la portière. Vous craignez qu'ils ne vous pourchassent et conduisez vers votre domicile sans vous arrêter. Constatant votre conduite imprévisible, un policier vous interpelle et vous arrête pour avoir conduit votre véhicule avec les facultés affaiblies ainsi qu'une alcoolémie supérieure à la limite permise. (Guay).

Vous sortez d'un bar pour aller chercher des cigarettes dans votre voiture. Trois individus s'approchent de vous et vous attaquent dans le but de vous voler. Vous trouvez refuge dans votre voiture mais vous vous battez afin d'expulser 2 des agresseurs, qui tentent d'entrer dans votre véhicule par les portières avant, et vous réussissez à prendre la fuite, mais 1 des individus saute sur le capot et s'agrippe aux essuie-glaces. Vous entendez un bruit que vous associez avec celui d'une arme à feu. Vous prenez la fuite, mais vous êtes pourchassés par vos agresseurs. Vous arrivez à un barrage routier, où les policiers vous arrêtent pour avoir conduit un véhicule avec les facultés affaiblies ainsi qu'une alcoolémie supérieure à la limite permise (Fillion).

La défense de nécessité à la rescousse

Ces situations, dignes de films d'épouvante, ont donné lieu à l'acquittement des accusés, qui avaient présenté une défense de nécessité.

Le critère essentiel de la défense de nécessité est le caractère involontaire de l'acte reproché, qui se mesure en fonction de ce que la société considère comme une résistance normale et appropriée à la pression. La Cour suprême du Canada, dans Perka, a énoncé les 3 conditions permettant à un accusé d'invoquer la défense de nécessité :

  1. L'existence d'un danger imminent;
  2. L'absence d'une autre solution raisonnable et légale;
  3. La proportionnalité entre le mal infligé et le mal évité.

Dans Latimer, la Cour a précisé que les 2 premières conditions devaient être évaluées d'une manière objective, tout en tenant compte de la situation et des caractéristiques de l'accusé. La situation de danger imminent doit être réelle et sérieuse, au point où un être humain normal serait instinctivement forcé d'agir. De plus, il ne doit y avoir aucune autre solution que celle de contrevenir à la loi. Quant au troisième élément, il doit se mesurer de manière objective, en tenant compte des valeurs de la société. Il faut que le mal évité soit au moins aussi grave que le mal causé. Lorsqu'un accusé démontre l'existence d'éléments donnant ouverture à la défense de nécessité, il revient à la poursuite de faire la preuve du caractère volontaire de l'acte commis par l'accusé.

Ainsi, la défense de nécessité a été accueillie dans des causes où un accusé avait conduit son véhicule avec les facultés affaiblies sous les menaces de son passager (Côté), où un médecin de garde avait commis un excès de vitesse car il croyait sa patiente en danger de mort (Ghostine) et même dans le cas d'un mari ayant conduit à une vitesse excessive pour atteindre une halte routière en raison des troubles intestinaux de sa conjointe, atteinte de la maladie de Crohn (Polcaro).

La défense de nécessité a cependant été écartée dans un récent cas de grand excès de vitesse causé par un épisode de rage au volant, le juge ayant déterminé que le motocycliste, bien qu'il ait été effrayé par un véhicule qui le suivait de près et qui faisait des manœuvres agressives et dangereuses, disposait d'autres possibilités que celle d'enfreindre la loi (Ville de Ste-Anne-des-Plaines). Ce moyen de défense a aussi été refusé à un père qui avait circulé à 142 km/h dans une zone de 70 pour conduire son fils à l'hôpital en raison de problèmes respiratoires (Harrisson), ainsi qu'à un fils dont le père éprouvait des problèmes cardiaques (Kelendji), le tribunal ayant estimé que le recours aux services d'urgence était une solution de rechange raisonnable et moins dangereuse.

Enfin, il est bon de préciser que le moyen de défense fondé sur la nécessité est restreint et qu'il n'a qu'une application limitée en droit criminel. Compte tenu du contexte dans lequel il peut être invoqué, on peut dire qu'il est bon de ne pas avoir à s'en servir!

Références

  • Rosemère (Ville de) Lizotte (C.M., 2000-06-06), SOQUIJ AZ-00036544, B.E. 2000BE-1122.
  • Lac Brome (Ville de) Neil (C.M., 1992-05-19), SOQUIJ AZ-92031198, J.E. 92-1045. Appel par voie de procès de novo rejeté (C.S., 1993-04-21), SOQUIJ AZ-93021322, J.E. 930974.
  • Direction des poursuites criminelles et pénales c. Guay (C.Q., 2014-06-05), 2014 QCCQ 9580, SOQUIJ AZ-51115568, 2014EXP-3481, J.E. 2014-1968.
  • R. c. Fillion (C.Q., 2007-11-06), 2007 QCCQ 11979, SOQUIJ AZ-50457621, J.E. 2007-2320.
  • Perka R. (C.S. Can., 1984-10-11), SOQUIJ AZ-84111047, J.E. 84-1013, [1984] 2 R.C.S. 232.
  • R. c. Latimer (C.S. Can., 2001-01-18), 2001 CSC 1, SOQUIJ AZ-50082362, J.E. 2001-237, [2001] 1 R.C.S. 3.
  • R. c. Côté (C.Q., 2011-03-24), 2011 QCCQ 3681, SOQUIJ AZ-50743751.
  • Montréal (Ville de) Ghostine (C.M., 2014-10-01), 2014 QCCM 245, SOQUIJ AZ-51119103, 2014EXP-3668, J.E. 2014-2063.

Pour plus d'information

Catherine Vaillancourt-Gauvreau

Catherine Vaillancourt-Gauvreau
Avocate

Catherine Vaillancourt-Gauvreau est conseillère juridique à SOQUIJ depuis avril 2018. Avocate depuis 1995, elle a exercé en pratique privée, a été conseillère juridique au sein de la fonction publique québécoise, notamment au Secrétariat à l'adoption internationale, et a été rédactrice juridique pigiste pour La référence (Éditions Yvon Blais) pendant plusieurs années. Elle écrit pour L'Express en matière de droit criminel et pénal.