Dans l’affaire Location Jean Miller inc. et 4411994 Canada inc. c. Municipalité de Mille-Isles, 2011 QCCS 7159, les demanderesses demandent à la Cour supérieure de rendre une ordonnance en mandamus aux fins de forcer l’émission par la municipalité d’un certificat de conformité à la réglementation municipale et de déclarer inopposable quant à elles une réglementation visant l'interdiction de procéder à des activités d'extraction sur le territoire de cette municipalité.
L’une des demanderesses, 4411994 Canada inc., est propriétaire du terrain qui est exploité alors que l’autre, Location Jean Miller inc., exploite la sablière. L'assiette de l’exploitation est située sur le territoire de la municipalité voisine de Morin Heights.
Le 11 mai 2011, 4411994 Canada inc. signe une offre d'achat afin d’acquérir des lots additionnels d'une superficie d'environ 200 acres qui sont contigus au terrain de la sablière et qui appartiennent à un tiers. Les lots additionnels quant à eux sont situés dans la zone MB-1 selon le plan de zonage et du règlement de zonage de la municipalité de Mille-Isles.
L'offre d'achat est toutefois conditionnelle à l'obtention par 4411994 Canada inc. d'une attestation de conformité de la municipalité permettant des activités de sablière et/ou carrière. C'est ainsi que les demanderesses ont entrepris leur démarche pour demander à la municipalité d'émettre un certificat de conformité.
Le 13 mai 2011, la demande de certificat de conformité est déposée au fonctionnaire désigné de la municipalité de Mille-Isles.
Les parties reconnaissent devant le tribunal que lors de la demande de certificat, le 13 mai 2011, le règlement 168 de la municipalité en vigueur depuis 1996 permettait l'exploitation d'un site d'extraction dans la zone MB-1, tel que celui envisagé par les demanderesses.
La zone MB-1 couvre environ deux tiers du terrain que possède la tierce partie que les demanderesses envisagent d'acquérir.
La demande de certificat de conformité vise quant à elle l'ensemble des lots additionnels de la tierce partie de sorte que le périmètre d'activité d'extraction convoité déborde de la zone MB-1.
Le 1er juin 2011, le fonctionnaire désigné a informé les demanderesses que la municipalité avait l'intention, le soir même, d'adopter un avis de motion en vue de prohiber toute activité d'extraction dans la zone MB-1. Ce dernier a d’ailleurs confirmé aux demanderesses à cette même date que la municipalité n’émettrait pas le certificat requis.
Le 1er juin 2011, à l'issue d'une réunion du conseil de la municipalité, un avis de motion est présenté afin de le modifier pour prohiber l'usage « extraction » dans la zone MB-1, a été adopté à l'unanimité.
Le projet de règlement en question porte le numéro 2011-06-97 et s’intitule « Projet de règlement numéro 168-1-2011 modifiant le règlement de zonage 168 et prohibant l'usage «extraction» dans la zone MB-1"8, lequel a été également adopté à l'unanimité.
Les demanderesses s'opposent au nouveau règlement 168-1-2011 au motif qu'il a été adopté postérieurement à leur dépôt d'une demande de certificat. Ainsi, elles soutiennent que la municipalité de Mille-Isles n'a pas relevé le fardeau qui lui échoit de démontrer qu'elle avait l'intention préalable d'exclure sur son territoire toutes activités d'extraction.
Elles soutiennent de plus que la municipalité agit de mauvaise foi à leur égard, puisque le règlement adopté ne vise que les demanderesses et finalement, elles ajoutent que la municipalité n'a pas agi avec célérité.
En 2009, lors d'une séance de consultation publique préalable à l'adoption des règlements et par écrit par la suite, de nombreux citoyens s'étaient opposés à l'adoption des règlements, vu la hâte avec laquelle la municipalité voulait agir. Cette contestation des citoyens ne concernait aucunement l'interdiction de procéder à des activités d'extraction sur le territoire de la municipalité de Mille-Isles.
Malgré l'opposition des citoyens en juin 2009, la municipalité adopte les cinq règlements, dont le règlement # 2002 qui interdit les activités d'extraction sur l'ensemble du territoire.
La municipalité désirait consulter la population et recevoir les commentaires pour pouvoir adopter une réglementation qui réponde aux attentes des citoyens.
Durant tout ce processus de consultation, soulignons à nouveau que la prohibition annoncée des activités d'extraction sur le territoire n'a pas été contestée ou modifiée de quelque façon que ce soit.
En matière d'émission des permis, l'arrêt de la Cour suprême du Canada dans City of Ottawa et al. c. Boyd Builders Ltd demeure la référence. On y a établi qu'une municipalité qui reçoit une demande de permis doit en principe l'émettre si la réglementation en vigueur à la date du dépôt de la demande le permet. Ainsi, un permis sera octroyé si la demande est substantiellement complète et conforme aux exigences en place. Cependant, si par la suite, la municipalité adopte un règlement modifiant le règlement de zonage existant, ayant pour effet de changer les elle pourra refuser la délivrance d'un permis si elle renverse le fardeau et satisfait à trois conditions.
La municipalité doit établir qu'avant la demande de permis :
- elle avait déjà clairement exprimé son intention de modifier le règlement jusqu'à là en vigueur;
- elle doit démontrer qu'elle a agi de bonne foi;
- elle doit prouver avoir agi avec diligence.
Quatre questions préoccupent alors le tribunal.
La demande de certificat de conformité est-elle conforme aux exigences?
La Cour précise qu’il appartient aux demanderesses de faire cette démonstration et que la preuve à cet égard est déficiente.
La municipalité a-t-elle relevé son fardeau de démontrer qu'elle avait une intention antérieure au 13 mai 2011 d'adopter un règlement afin d'exclure les activités d'extraction sur son territoire?
En date du 1er juin 2009, la MRC a adopté son schéma d'aménagement et de développement révisé. Selon le schéma d’aménagement, les activités extractives sont interdites. En effet, selon un extrait du schéma, toute nouvelle activité extractive gravière ou sablière est interdite dans la zone convoitée.
En application de l'article 59 de la Loi sur l'aménagement et l'urbanisme, une fois le schéma adopté, les municipalités visées ont deux ans pour adopter leur réglementation correspondante pour s'y conformer. Ce délai de deux ans peut être prolongé, comme ce fut le cas en l'espèce.
Le 17 juin 2009, la municipalité a adopté quatre règlements, soit les règlements 2000 à 2004 dont le règlement #2002 interdit les activités d'extraction. Pour le Tribunal l'intention préalable de la municipalité a clairement été démontrée.
La preuve a également révélé que la municipalité était sous l'impression que les lots additionnels convoités par Miller allaient faire l'objet d'un développement immobilier.
Ce dernier avait déposé auprès de la municipalité des plans démontrant un aménagement de plusieurs résidences sur des grands terrains.
La municipalité a-t-elle agi de bonne foi?
Les témoignages des préposés de la municipalité ne démontrent aucune preuve de mauvaise foi de la part de cette dernière. Le tout s'inscrit dans une démarche amorcée depuis 2008 poursuivie de façon constante afin de faire de la municipalité un lieu paisible pour ses habitants. L'avis de motion du règlement proposé le 1er juin 2011 a été adopté pour réagir à une situation qui prévalait à la suite de la demande du certificat des demanderesses.
La municipalité a-t-elle agi avec célérité?
Le Tribunal vient donc à la conclusion que la municipalité a agi avec célérité pour l'adoption de ce règlement particulier qui visait à protéger le bien public. En conclusion, le Tribunal considère que la municipalité a renversé son fardeau de preuve pour démontrer qu'elle avait l'intention préalable d'agir, qu'elle avait agi de bonne foi et avec célérité.
Le jugement de première instance est porté alors en appel (2013 QCCA 355). La Cour d’appel vient à la conclusion que rien dans le jugement de première instance ne justifie pas l’annulation de la première décision.
La Cour s’exprime ainsi sur le processus suivi par la municipalité : « Le mécanisme s’est avéré long. Une refonte de la réglementation municipale n’est pas une mince affaire. On pourra difficilement considérer qu’un conseil municipal qui consulte ses citoyens se traîne les pieds. La modification qui est au cœur du débat devant la Cour ne constitue qu’une partie d’un processus beaucoup plus large ». La Cour considère que la juge de première instance a jugé, au vu de l’ensemble du processus, que la municipalité a agi avec célérité et que l’appel doit être rejeté.