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«Nul n'est censé ignorer la loi»: ce n'est pas toujours le cas en matière de loi à caractère social

9 décembre 2016

Il n'y a que 24 heures dans une journée. C'est un fait qui ne se remet pas en question. C'est comme ça et c'est tout. En droit, il y a aussi des maximes immuables, telle «la loi est dure, mais c'est la loi». Toutefois, pour les lois à caractère social, l'adage «nul n'est censé ignorer la loi» ne peut être classé automatiquement dans cette catégorie. Oui, un administré peut ne pas connaître la loi et avoir gain de cause. 

Au Tribunal administratif du Québec (TAQ), c'est la décision P.C. c. Québec (Procureur général) qui a insufflé un vent de changement en précisant que l'ignorance de la loi ne peut à elle seule, dans le contexte d'une loi rémédiatrice, constituer un refus d'accorder des prestations. Dans cette affaire, la Direction de l'indemnisation des victimes d'actes criminels (IVAC) avait rejeté la demande de prestations du requérant au motif de hors délai. Pour expliquer son retard à agir, le requérant a fait valoir son ignorance de la loi.

Le TAQ a rappelé que l'adage «nul n'est censé ignorer la loi» provient d'une règle de common law qui a été codifiée au Code criminel. Il s'agit d'un principe directeur du droit criminel canadien qui tire sa justification de la nécessité d'interdire qu'une personne invoque son ignorance de la loi pour se défendre d'une infraction criminelle ou pénale ou pour se soustraire à ses obligations.

Il a fait siens les motifs exprimés par la Commission des lésions professionnelles dans Charbonneau et CanadAventure inc., laquelle a mitigé le principe «nul n'est censé ignorer la loi» dans le cas d'une loi remédiatrice et a fait référence à l'impossibilité pour un administré se retrouvant «dans les dédales de l'administration publique» de connaître la multitude de lois et de règlements.

Le TAQ a ajouté qu'il ne s'agit pas simplement d'appliquer ou non l'adage, mais plutôt de le transposer dans le contexte particulier de l'affaire, selon les circonstances propres à chaque cas. Ainsi, invoquer l'ignorance de la loi ne suffit pas: il faut la justifier par une preuve contextuelle prépondérante. De plus, le TAQ a considéré que l'analyse doit également tenir compte du comportement de l'administré, notamment en fonction de la nécessité de démontrer une certaine diligence de sa part.

Dans ce cas, le TAQ a retenu que, dans les circonstances, on ne pouvait reprocher au requérant son ignorance de la loi et a accueilli son recours. D'autres décisions du TAQ ont suivi celle-ci et ont fait droit aux recours des administrés invoquant l'ignorance de la loi. C'est notamment le cas en matière de l'allocation de Soutien aux enfants (P.L. c. Régie des rentes du Québec), de la sécurité du revenu (C.L. c. Québec (Ministre du Travail, de l'Emploi et de la Solidarité sociale) et de l'assurance-automobile (R.S. c. Société de l'assurance automobile du Québec).

Par contre, dans d'autres affaires, le TAQ a cité cette décision mais a considéré que l'ignorance de la loi des administrés était fatale dans les circonstances particulières de chaque cas. Voir notamment K.T. c. Retraite Québec et L.L. c. Retraite Québec(rétroactivité du supplément pour enfant handicapé) de même que R.T. c. Québec (Procureur général) (autre cas de demande hors délai à l'IVAC).

Références

  • P.C. c. Québec (Procureur général), (T.A.Q., 2015-09-21), 2015 QCTAQ 09616, SOQUIJ AZ-51219276, 2015EXP-3124.
  • Charbonneau et CanadAventure inc. (C.L.P., 2012-01-19), 2012 QCCLP 424, SOQUIJ AZ-50824126.
  • P.L. c. Régie des rentes du Québec (T.A.Q., 2015-10-09), 2015 QCTAQ 10130, SOQUIJ AZ-51222659, 2015EXP-3413.
  • C.L. c. Québec (Ministre du Travail, de l'Emploi et de la Solidarité sociale), (T.A.Q., 2016-03-15), 2016 QCTAQ 03170, SOQUIJ AZ-51266979, 2016EXP-1986.
  • R.S. c. Société de l'assurance automobile du Québec (T.A.Q., 2016-06-20), 2016 QCTAQ 06512, SOQUIJ AZ-51301173.
  • K.T. c. Retraite Québec (T.A.Q., 2016-02-18), 2016 QCTAQ 02560, SOQUIJ AZ-51259028, 2016EXP-1888.
  • L.L. c. Retraite Québec (T.A.Q., 2016-05-03), 2016 QCTAQ 04452, SOQUIJ AZ-51287646.
  • R.T. c. Québec (Procureur général), (T.A.Q., 2016-05-31), 2016 QCTAQ 05877, SOQUIJ AZ-51295507.

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Pour plus d'information

Me Lucie Allard

Me Lucie Allard
Conseillère juridique

Me Lucie Allard est conseillère juridique à SOQUIJ depuis 2002. Elle s'intéresse particulièrement au droit administratif, incluant notamment le droit social et à l'accès à l'information. Elle est conférencière aux Développement récents en matière d'accidents d'automobile depuis plusieurs années et a rédigé de nombreux articles sur ce sujet.