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Lorsque les mauvaises blagues au travail tournent mal, prise 2

18 janvier 2019

En règle générale, c'est l'employeur qui supporte les coûts afférents à une lésion professionnelle subie par l'un de ses travailleurs (art. 326 al. 1 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles (LATMP)). La loi prévoit toutefois quelques exceptions, notamment lorsque cette imputation «aurait pour effet de faire supporter injustement à un employeur le coût des prestations dues en raison d'un accident attribuable à un tiers» (art. 326 al. 2 LATMP).

Lorsqu'un travailleur subit une lésion professionnelle à la suite d'une plaisanterie qui tourne mal, le Tribunal administratif du travail, Division de la santé et de la sécurité du travail (qui a remplacé la Commission des lésions professionnelle le 1er janvier 2016), considère généralement qu'il serait injuste d'en imputer le coût à l'employeur. En voici 3 exemples.

Se cacher pour faire «une peur» (Groupe de sécurité Garda inc.)

Le travailleur, un gardien de sécurité, exerce ses fonctions chez un client de son employeur, une épicerie.

Tout en parlant au cellulaire, il se dirige vers son bureau, circulant dans un corridor étroit, encombré d'une étagère contre le mur de gauche et de piles de caisses de plastique de forme carrée contre le mur de droite.

Alors que le travailleur s'apprête à entrer dans son bureau, un employé de l'épicerie qui s'était caché derrière les piles de caisses surgit de sa cachette et saisit le travailleur par-derrière, en criant.

Le travailleur sursaute tellement qu'il tombe à plat ventre, se blessant au genou droit et à la mâchoire.

La juge administrative Crochetière :

«[21] Au moment de l'accident, [ ] le travailleur n'est pas en train de côtoyer ou d'interagir avec un employé de l'épicerie pour s'assurer que le vol à l'étalage ne demeure pas impuni. Il n'exerce aucune activité visant la protection des personnes ou des biens ou visant le maintien d'un environnement de travail sécuritaire. Il ne côtoie pas un client de l'épicerie ayant un comportement inapproprié.

[22] Lors de l'accident, le travailleur circule sur les lieux de travail et est plutôt victime d'un comportement inapproprié d'un employé de l'épicerie. Cette situation ne fait pas partie des risques inhérents à l'ensemble des activités de l'employeur qui, selon l'unité de classification 65140, est une  » Agence de sécurité ou d'investigation; transport de valeurs par véhicules blindés « .

[23] Comme le souligne le procureur de l'employeur, une telle classification n'implique pas des activités sujettes aux mauvaises blagues. Il tombe sous le sens commun que la dernière chose à laquelle un agent de sécurité, dans l'exercice de ses fonctions, puisse s'attendre est d'être victime d'une telle mauvaise blague. Il ne s'agit aucunement d'un risque lié d'une manière étroite et nécessaire aux activités de l'employeur. Au surplus, la situation s'apparente davantage aux circonstances inhabituelles, exceptionnelles, anormales ou inusitées qui rendraient injuste l'imputation des coûts à l'employeur.» [Les caractères gras sont ajoutés.]

Dans cette affaire, la juge Crochetière a ordonné que les coûts soient transférés à l'ensemble des employeurs.

S'amuser avec un jet à air comprimé (René Matériaux composites ltée)

Le travailleur est un aide-opérateur au démoulage de pièces pour une entreprise qui fabrique des pièces de revêtement pour des véhicules lourds.

Pour enlever les copeaux d'enduit gélifié et de résine sur le contour du moule, un jet à l'air comprimé de 100 livres de pression est utilisé. Pour effectuer ce travail, le travailleur porte des bouchons de protection auditive.

Le jour de l'accident, un employé provenant d'une agence de personneltravaillait avec la victime de la lésion. L'employé lui a envoyé un jet d'air sous la palette de sa casquette afin de la faire tomber, puis un deuxième jet d'air, qui a fait sauter son bouchon de protection. L'air est entré dans son oreille droite, lui causant un barotraumatisme à l'oreille.

Le juge administratif Deraiche :

«[22] [ ] c'est dans le cadre d'un jeu que l'employé de [l'agence de personnel] a blessé le travailleur, sans que ce dernier ne soit impliqué, si ce n'est que d'être la victime de ce jeu.

[23] Dans ces circonstances, il s'avère qu'imputer à l'employeur le coût des prestations reliées à la lésion professionnelle lui causerait une injustice.

[24] Enfin, en matière de transfert du coût des prestations reliées à la lésion professionnelle subie par le travailleur accidenté, l'article 326 de la loi prévoit que celui-ci peut être imputé aux employeurs d'une, de plusieurs ou de toutes les unités.

[25] Dans le présent dossier, [l'agence de personnel] n'a pas répondu aux communications de la Commission, ne s'est pas présenté à l'audience et, selon le témoignage de [la responsable des ressources humaines chez l'employeur], continue d'exploiter sous un autre nom. Il convient donc de conclure que le coût des prestations reliées à lésion professionnelle subie par le travailleur doit être transféré aux employeurs de l'unité à laquelle appartient [l'agence de personnel] et qu'il serait injuste de transférer ce coût à l'ensemble des employeurs.» [Les caractères gras sont ajoutés.]

Le client voulait faire une blague (Costco - Brossard Div. entrepôt)

La travailleuse, une emballeuse aux caisses chez Costco, traînait un chariot rempli de boîtes le bras droit vers l'arrière afin de voir les gens devant elle lorsqu'un client, pour faire une blague, a tiré le chariot vers l'arrière, ce qui lui a causé une élongation musculaire du trapèze droit.

Le juge administratif Watkins :

«[39] [ ] en l'espèce, une mauvaise blague d'un client, seule cause de la lésion professionnelle de la travailleuse, constitue une situation « extraordinaire, inusitée, rare ou exceptionnelle ». Sans pouvoir qualifier de « guet-apens ou de piège », la situation vécue par la travailleuse, et sans que l'on puisse véritablement parler d'une agression ou d'un méfait à son endroit, le tribunal n'hésite pas à assimiler à de telles situations celle qu'a vécu la travailleuse.

[40] [ ] malgré une clientèle « omniprésente » dans les locaux commerciaux de l'employeur, il est grandement improbable qu'un accident semblable ne survienne à nouveau lorsqu'un employé traîne un chariot parmi les gens. Pour le tribunal, une infime minorité de gens oseront poser un geste semblable à celui posé [ ] par le client de l'employeur. En ce sens, le geste du client est pour le tribunal, nettement inusité.

[41] Pour tous ces motifs, la Commission des lésions professionnelles est d'avis que l'employeur « supporte injustement » le coût des prestations découlant de l'accident de la travailleuse, accident attribuable à un tiers. Sa requête doit être accueillie.» [Les caractères gras sont ajoutés ]

Dans cette affaire, le juge Watkins a ordonné que les coûts soient transférés à l'ensemble des employeurs.

Voir aussi à ce sujet, le billet de ma collègue France Rivard.

Pour plus d'information

Marie-Andrée Miquelon

Marie-Andrée Miquelon
Conseillère juridique

Membre du Barreau depuis 1988, Marie-Andrée Miquelon est conseillère juridique chez SOQUIJ depuis 1996. Elle se spécialise en droit des lésions professionnelles. Elle est l'auteure d'articles qui ont été publiés dans L'Express Travail et dans le Portail SOQUIJ.