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Peut-on subir un accident du travail en se rendant au travail?

2 décembre 2019

Vous vous blessez en vous rendant au travail ou en revenant du travail. Avez-vous été victime d'un accident du travail? La jurisprudence fait une distinction entre les activités dites de «trajet» et celles «d'arrivée et de départ».

Qu'est-ce qu'une activité de trajet?

L'activité de trajet est le déplacement qu'effectue le travailleur entre son domicile et son lieu de travail ou vice versa. Habituellement, il s'agit d'une activité personnelle. La blessure survenant à ce moment ne peut constituer une lésion professionnelle. Toutefois, il arrive que certains éléments transforment cette activité personnelle en activité professionnelle. Dans de telles circonstances, un accident du travail pourrait être reconnu.

Qu'est-ce qu'une activité d'arrivée et de départ?

C'est l'activité d'arriver au travail ou d'en repartir en utilisant les voies d'accès usuelles mises à la disposition des travailleurs par un employeur. Une blessure survenue à ce moment pourrait être reconnue à titre de lésion professionnelle. Cette activité ne doit cependant pas être interrompue par une activité de nature personnelle. Les commentaires de la juge Valérie Lizotte dans une récente affaire illustrent bien la position des juges administratifs sur cette question (Béliveau):

[21]        C'est au niveau de la définition ou des limites de ce qui est compris dans les voies d'accès usuelles mises à la disposition des travailleurs par un employeur que le débat se situe le plus souvent.

[22]        Pour certains, les voies d'accès usuelles comprennent uniquement les trottoirs adjacents aux portes d'entrée et de sortie du lieu de travail alors que pour d'autres, les voies d'accès peuvent inclure les rues adjacentes au terrain de l'employeur ou d'un stationnement mis à la disposition de ses employés.

[23]        Lorsque le stationnement utilisé par un travailleur pour garer son automobile est fourni par l'employeur et que l'accident survient dans cet espace, à moins que le travailleur n'effectue une activité purement personnelle, il est généralement reconnu que l'accident survient à l'occasion du travail.

[24]        Il peut en être de même de la voie publique que doit emprunter un travailleur entre le stationnement fourni par l'employeur et le lieu de travail. Il s'agit alors d'une extension des voies usuelles d'accès au travail. La propriété des lieux où survient un accident n'a donc pas d'importance, dans ces circonstances, puisque le travailleur exerce une activité connexe à son travail, en empruntant un trajet normal non prohibé par son employeur.

[25]        La tendance jurisprudentielle est plus nuancée lorsque l'accident survient sur un stationnement qui n'appartient pas à l'employeur.

Chaque cas étant un cas d'espèce, voici quelques exemples tirés de la jurisprudence.

Les accidents de trajet : réclamations refusées

La travailleuse, une chauffeuse d'autobus, avait été invectivée sur la voie publique par des individus alors qu'elle attendait le service de taxi fourni par l'employeur pour se rendre au travail. Le Tribunal a conclu qu'elle n'avait pas subi un accident «à l'occasion du travail». Il a retenu que le service de taxi offert par l'employeur était un avantage prévu à la convention collective mais que la travailleuse n'avait pas l'obligation de s'en prévaloir. De plus, il a retenu que cette dernière se trouvait sur la voie publique, laquelle ne constituait pas une voie d'accès l'établissement de l'employeur (Desrochers).

La travailleuse, une aide à domicile, avait été victime d'un accident de la route entre 2 assignations alors qu'elle avait fait le tour de la ville afin de «tuer le temps» et qu'elle se dirigeait vers sa prochaine assignation. Le Tribunal a conclu que la travailleuse n'avait pas subi d'accident «à l'occasion du travail». Il a retenu que cette dernière exerçait une activité personnelle, précisant que la façon dont elle passait le temps entre 2 assignations n'était pas une activité connexe au travail. Le Tribunal a tout de même souligné qu'il aurait pu conclure autrement si la travailleuse avait subi son accident en se dirigeant directement à son deuxième lieu d'assignation dans un délai serré (Germain).

Le travailleur, un technicien en administration, avait été victime d'un accident de la route alors qu'il se dirigeait de son domicile vers le lieu d'une formation. Le Tribunal a conclu qu'il n'avait pas subi un accident «à l'occasion du travail». Il a retenu que, dans le contexte où le travailleur n'avait pas encore commencé son quart de travail et où l'employeur ne supervisait pas le mode de transport utilisé, le travailleur était toujours dans sa sphère personnelle et se trouvait dans la même situation que tout automobiliste se rendant au travail (Desjardins).

Les accidents de trajet : réclamations acceptées

Le travailleur, un opérateur de machinerie lourde sur des chantiers éloignés, avait été victime d'un accident de la route sur un chemin forestier public 2 heures après la fin de son quart de travail. Ce dernier revenait à son port d'attache avec des collègues dans le véhicule fourni par l'employeur, mais il n'était pas rémunéré. Le Tribunal a reconnu qu'il avait subi un accident «à l'occasion du travail». Il a notamment retenu que le travailleur n'était pas revenu dans sa sphère personnelle au moment de l'accident puisqu'il devait suivre les consignes de sécurité particulières à la conduite en chemin forestier, utiliser le véhicule de son employeur et transporter des collègues au siège social de l'entreprise (Imbeault).

La travailleuse, une auxiliaire familiale, avait été victime d'un accident de la route entre son domicile et sa première cliente de la journée. Le Tribunal a reconnu qu'elle avait subi un accident «à l'occasion du travail». Dans ce dossier, la visite de la cliente, prévue initialement en après-midi, avait été déplacée par l'employeur. Sans cette visite, la travailleuse se serait rendue directement au bureau. Le Tribunal a retenu que l'unique raison pour laquelle la travailleuse se trouvait ce jour-là, à cette heure et sur cette route était le travail. Elle avait donc quitté sa sphère personnelle pour entrer dans sa sphère professionnelle (Lussier).

Les activités d'arrivée et de départ : réclamations acceptées

La travailleuse, une agente en recouvrement fiscal, avait fait une chute, 15 minutes avant le début de son quart de travail, sur la voie publique où elle avait garé son véhicule au lieu d'utiliser le stationnement que l'employeur met à la disposition des travailleurs. Le Tribunal a conclu qu'elle avait subi un accident «à l'occasion du travail». Il a notamment retenu que, peu importe le stationnement utilisé, les employés devaient traverser la voie publique où était survenue la chute, laquelle constituait une voie d'accès aux lieux du travail. Il a souligné que de «refuser de considérer la voie publique située devant l'immeuble de l'employeur comme une voie d'accès alors qu'elle sépare le stationnement de l'employeur et le trottoir conduisant à la porte d'entrée de l'établissement, conduit à un découpage illogique des voies d'accès. [ ] [L]'action pour la travailleuse d'arriver au travail juste avant le début de son quart de travail est connexe à son emploi. La finalité même de la présence de la travailleuse [sur cette voie publique] au moment où survient la chute [ ] s'explique exclusivement par son travail» (Béliveau, paragr. 54 et 58).

La travailleuse, une éducatrice qualifiée en petite enfance, avait chuté 5 minutes avant le début de son quart du travail dans le stationnement souterrain de l'édifice où étaient situés les locaux de l'employeur. Le Tribunal a conclu qu'elle avait subi un accident «à l'occasion du travail» en raison du moment et du lieu précis de la chute. Il a précisé que, même s'il s'agissait d'une voie publique qui n'était pas sous le contrôle de l'employeur, en raison de la proximité avec le lieu de travail, elle constituait une extension des voies usuelles d'accès (Sasu).

Activité d'arrivée et de départ : réclamations refusées

La travailleuse, une dégustatrice au service d'une agence de placement, avait chuté 15 minutes après la fin de son quart de travail dans le stationnement qu'elle utilisait à la suite des indications de ses collègues. Le Tribunal a conclu qu'elle n'avait pas subi d'accident «à l'occasion du travail». Il a notamment retenu que ce stationnement n'avait pas été mis à la disposition des travailleurs par l'employeur et qu'il ne constituait pas une voie d'accès au travail. Il a précisé qu'il revenait à la travailleuse de faire les vérifications nécessaires quant au stationnement à utiliser, ce qu'elle n'avait pas fait (Simard).

La travailleuse, une cosméticienne, avait chuté dans l'escalier extérieur environ 15 minutes après la fin de son quart de travail alors qu'elle avait auparavant effectué des achats personnels à la pharmacie où elle travaille. Le Tribunal a conclu qu'elle n'avait pas subi d'accident «à l'occasion du travail». Après avoir mentionné que les accidents qui se produisent sur les voies d'accès peuvent être reconnus comme étant survenus «à l'occasion du travail», en l'espèce, l'activité consistant à faire des achats personnels avait rompu tout lien avec le travail (Piambelli). Par contre, dans une décision toute récente et qui présente certaines similitudes avec celle-ci (Beauvais), le Tribunal a conclu que la travailleuse avait subi un accident «à l'occasion du travail». Dans cette affaire, une caissière dans un supermarché s'était blessée en y effectuant des achats personnels après son quart de travail. Le Tribunal a retenu que le fait que l'employeur puisse imposer des mesures disciplinaires en cas de non-respect de sa politique portant sur l'achat de marchandises avant ou après un quart de travail permettait de conclure que l'activité exercée était connexe au travail. 

Références

  • Béliveau et Agence du revenu du Québec (T.A.T., 2019-05-24), 2019 QCTAT 2417, SOQUIJ AZ-51599606, 2019EXPT-1223.
  • Desrochers et Réseau de transport de Longueuil (T.A.T., 2018-12-20), 2018 QCTAT 6209, SOQUIJ AZ-51556370, 2019EXPT-223.
  • Maison St-André Abitibi-Ouest et Germain (T.A.T., 2018-12-12), 2018 QCTAT 6048, SOQUIJ AZ-51555049, 2019EXPT-168.
  • Commission scolaire de Montréal et Desjardins (T.A.T., 2018-06-01), 2018 QCTAT 2747, SOQUIJ AZ-51500593, 2018EXPT-1312.
  • Dufour & Frères inc. et Imbeault (T.A.T., 2018-12-21), 2018 QCTAT 6234, SOQUIJ AZ-51556395, 2019EXPT-222.
  • Lussier et CSSS Val-St-François (CLSC, CH, CHSLD), (T.A.T., 2018-02-16), 2018 QCTAT 884, SOQUIJ AZ-51470298, 2018EXPT-468.
  • YMCA du Québec et Sasu (T.A.T., 2018-11-30), 2018 QCTAT 5843, SOQUIJ AZ-51551029, 2019EXPT-1.
  • Simard et Professional Warehouse Demonstration (T.A.T., 2017-10-03), 2017 QCTAT 4526, SOQUIJ AZ-51430588, 2017EXPT-1958.
  • Pharmaprix Olivier Guertin et Piambelli (T.A.T., 2017-01-26), 2017 QCTAT 416, SOQUIJ AZ-51361651, 2017EXPT-295.
  • Beauvais et Maxi & Cie (T.A.T., 2019-09-27), 2019 QCTAT 4375, SOQUIJ AZ-51632889.

Pour plus d'information

Me Nancy Fortin

Me Nancy Fortin
Avocate

Membre du Barreau du Québec depuis 1993, Nancy Fortin a exercé en pratique privée, plus particulièrement en matière de faillite et d'insolvabilité. Elle s'est jointe en 2002 à SOQUIJ, où elle se spécialise en droit de la santé et de la sécurité du travail.